Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les femmes et les jeunes filles, qui riaient tout le long du cortège. La courte restauration de Ludovic le More, favorisée par Venise, passa comme un léger nuage sur ce ciel rayonnant. Le 10 avril, le tyran de Milan, fléau de l’Italie, dit Paul Jove, tomba aux mains des Français, à qui il avait ouvert, sous Charles VIII, la route des Alpes. La péninsule était désormais asservie au nord, et l’étranger tenait pour plusieurs siècles les clés de l’Italie. Mais l’envahisseur était alors le bon ami du saint-père, le cousin de César, et les Borgia, réjouis par l’adoration de l’église universelle, ne songeaient, au printemps de l’an 1500, qu’à fêter leur fortune. Le pape offrait aux chrétiens des processions, le Valentinois des tournois de taureaux. C’est à peine si, dans l’allégresse de Rome, quelques impressions pénibles mêlaient, de loin en loin, une ombre de mélancolie à la joie religieuse des pèlerins. On apprenait un jour que l’ambassadeur de France avait été dévalisé, avec toute sa suite, aux environs de Viterbe; on voyait un soir, en revenant d’un office à Saint-Pierre, aux abords du pont Saint-Ange, attachés aux potences, les bandits arrêtés çà et là dans la campagne romaine ; on se contait l’histoire du médecin de l’hôpital du Latran, qui, au crépuscule matinal, tuait à coups de flèche, autour de la basilique, les dévots trop pressés d’aller à Saint-Jean et les dépouillait, ou b en empoisonnait, avec le concours du confesseur de la maison, les malades riches et leur dictait un bon testament. Mais ces légers incidens ne troublaient point la beauté du jubilé de 1500. Tout à coup, une nouvelle catastrophe fit tressaillir Rome et l’Italie, et révéla une fois de plus à Alexandre VI l’incertitude de ses joies de famille.

Quinze mois après son mariage avec Lucrèce, en août 1499, Alphonse d’Aragon s’était enfui sans raison apparente, alla macchia, écrit un contemporain, dans les bois, comme un misérable poursuivi par les sbires; puis il s’était retiré à Genzano, chez les Colonna. Il devinait peut-être que la politique des Borgia, inféodée alors à la France, serait dans un temps prochain hostile à la dynastie napolitaine. Le souvenir de don Juan l’effrayait; il eut peur, et, laissant sa femme enceinte de six mois, il courut loin de la sinistre ville apostolique. Le pape rappela son gendre et lui ordonna de rejoindre Lucrèce à Spolète. Alphonse obéit. Alexandre revit, peu de jours après, à Nepi, les deux époux, qui rentrèrent à Rome vers le milieu d’octobre. Le retour de César dans la capitale ecclésiastique, après sa première campagne de Romagne, ne semble pas avoir donné à Alphonse de nouveaux sujets d’inquiétude. Il prit part, avec toute la famille, aux fêtes du jubilé. Le 15 juillet, il se rendait, vers onze heures du soir, du Vatican à son palais, qui était voisin de la basilique ; deux serviteurs l’accompagnaient. Sur les degrés