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à celle des pays actuellement voisins du tropique. Dès lors, non-seulement la marche générale, mais encore la filiation d’une foule de végétaux ont pu être établies avec vraisemblance, et on a constaté que les ancêtres directs d’une partie de nos arbres avaient originairement habité à l’intérieur du cercle polaire, tandis que plusieurs autres, confinés maintenant dans les pays du sud, avaient eu jadis des prédécesseurs européens. Ce sont ces découvertes récentes et curieuses dont nous voudrions donner ici un court résumé.


I.

Prenons d’abord la « forêt » en elle-même : nous saisirons mieux, en considérant ce qu’elle est sous nos yeux, la raison d’être de ses changemens d’autrefois. La forêt, c’est proprement une association d’arbres librement groupés à travers l’espace ; c’est en définitive le règne végétal livre à ses propres forces et rencontrant des conditions assez favorables pour devenir maître du sol, en y étalant son opulence. La forêt « vierge, » c’est celle au sein de laquelle l’homme n’a pénétré qu’en passant, ou du moins sur laquelle il n’a jamais porté la main pour l’attaquer et la modifier. C’est surtout celle des pays chauds, de la zone intertropicale, où tout concourt à entraîner l’essor du règne végétal. Même sous nos climats, si modestes à ce point de vue, on n’a qu’à se transporter dans les Vosges, au milieu des forêts de sapins, ou parmi les hêtres de la Sainte-Baume, en Provence, pour saisir aussitôt la force et la majesté du règne végétal ainsi abandonné à lui-même, et possédant l’espace d’une façon incontestée.

Les associations forestières traduisent l’influence du climat auquel elles sont adaptées ; elles changent d’aspect et de composition selon la latitude, et offrent à l’observateur des diversités caractéristiques combinées dans un ordre déterminé et successif, à mesure que du voisinage du cercle polaire, limite de la végétation arborescente, on s’avance vers le sud, en se rapprochant graduellement de l’équateur. Dans la revue que l’on peut en faire, les associations forestières offrent constamment un double point de vue, puisqu’elles sont à considérer en elles-mêmes et aussi à raison de leurs rapports avec le passé, de leurs liens de parenté avec les végétations antérieures ; mais, avant de se placer à ce dernier point de vue, il faut d’abord jeter les yeux sur les végétaux actuels pour définir les traits de l’ordonnance qui préside, sous nos yeux, à leur distribution.

Le domaine forestier s’avance au-delà du cercle polaire en Europe et en Sibérie, où il atteint même et dépasse quelque peu le