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« Fervaques, ce 24 juin 1800.

« Enfin, je reçois de vos nouvelles ; j’y avais réellement renoncé. C’était si bien fini, que vous n’avez rien su et que vous ne savez rien de rien. Le Génie est ici depuis quinze jours ; il part dans deux, et ce n’est pas un départ ordinaire, ce n’est pas pour un voyage ordinaire non plus. Cette chimère de Grèce est enfin réalisée. Il part pour remplir tous ses vœux et pour détruire tous les miens. Il va enfin accomplir ce qu’il désire depuis si longtemps. Il sera de retour au mois de novembre, à ce qu’il assure. Je ne puis le croire. Vous savez si j’étais triste, l’année dernière ; jugez donc de ce que je serai cette année. J’ai pourtant pour moi l’assurance d’être mieux aimée ; la preuve n’en est guère frappante : il part d’ici dans deux jours, et, le 1er juillet, pour un grand voyage. Je ne vous engage donc pas à venir à présent, mais si dans le courant de l’été, vous vous en sentez le courage, vous me ferez plaisir ; et d’après ce que vous venez d’apprendre, vous serez, je pense, rassuré sur l’effet que pourrait faire votre tristesse. Je vous quitte, car vous savez dans quelles angoisses je dois être ; je ne puis causer plus longtemps.

« La chère Souris est ici aussi.

« Tout a été parfait depuis quinze jours, mais aussi tout est fini. »


Son instinct de femme ne la trompait pas. Elle avait appris à connaître dans Chateaubriand ce quelque chose d’inquiet et de vague qui le portait incessamment aux chimères, et ce désaccord entre les buts avoués et les buts secrets. Tout était bien fini, en effet, et si elle eût espéré dans les heures où elle rêvait, le ramener au temps où il attendait fiévreusement les billets apportés par Mlle de Saint-Léon, les faits devaient brutalement faire évanouir ces illusions.

Chateaubriand quittait la France le 13 juillet 1806, impatient « d’aller mêler ses délaissemens aux ruines d’Athènes, ses pleurs aux larmes de Madeleine, » impatient surtout de rejoindre celle dont il était alors passionnément épris, et qui réunissait aussi, au dire de la duchesse de Duras[1], tout ce que la beauté, la grâce, l’esprit, l’élégance des manières pouvaient inspirer d’admiration.

Mme de Custine ne se consola jamais : elle ne cessa pas d’aimer celui qui l’avait rendue si malheureuse. Elle resta son amie fidèle, lui parlant avec une sincérité qu’il ne rencontrait pas à un même

  1. Voyez Correspondance de Mme de Swetchine, t. I, p. 124.