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raisons de doctrine, mais par des raisons de circonstance dans lesquelles nous n’avons pas à entrer. Nous ne croyons pas pour cela qu’il faille abandonner le principe d’une science et d’un enseignement de droit naturel, ou de quelque chose de semblable. La question théorique reste donc ouverte ; et, avant d’exposer les titres de la nouvelle science, nous demandons à faire valoir encore une fois les titres de l’ancienne.

Sans doute, on pouvait trouver que la désignation de la chaire : Droit de la nature et droit des gens, avait quelque chose d’un peu vieillot et rappelait trop peut-être les vieux in-folio poudreux de Grotius et de Puffendorf ; mais rien ne serait plus facile que de rajeunir cette chaire, en en changeant le titre et en l’appelant, par exemple, « chaire de philosophie du droit ; » et il n’est guère à craindre qu’il n’y ait pas sous ce titre de belles questions à discuter ou à résoudre. La question des nationalités, celle des droits respectifs de l’individu et de l’état, celle des rapports de l’église et de l’état, les droits de la famille dans l’éducation, ne sont pas, que je sache, des questions mortes. Et ne serait-il pas étrange que, dans une société qui repose sur la déclaration des droits de l’homme, on considérât comme surannée une doctrine du droit, une philosophie du droit ? Il ne serait pas d’ailleurs nécessaire qu’une telle chaire fût toujours occupée par une même école ; l’école historique, aussi bien que l’école idéaliste, pourvu que l’une ou l’autre présentât un candidat éminent, pourraient concourir au même titre pour un tel enseignement, la liberté des doctrines étant de droit dans l’enseignement supérieur. Mais le principe serait sauvegardé.

Toutes ces raisons ont dû être présentées dans l’assemblée du Collège de France. Mais à ces raisons théoriques on peut en ajouter une autre bien plus pressante, à laquelle on n’a peut-être pas pensé, et qui nous paraît irrésistible. Eh quoi ! la France renoncerait à enseigner les principes du droit au moment où son existence comme nation, où l’existence de chacun de nous, où famille, biens, honneur, tout est suspendu à une question de droit ! Et ce n’est pas seulement la France, c’est l’Europe entière qui est suspendue à cette même question. Que l’on décide, en effet, qu’il n’y a plus de droit, avec quelle facilité se résoudrait la question tragique à laquelle nous faisons allusion ! La France n’aurait qu’à se dire : les faits sont les faits ; le passé est le passé ; la loi des choses a parlé ; acceptons les faits accomplis ; renonçons à de vains regrets ; tournons notre activité d’un autre côté. Livrons-nous aux vastes entreprises matérielles, aux belles expériences politiques. En prononçant une telle parole, on délivrerait l’Europe d’un poids épouvantable. Les dépenses exorbitantes seraient immédiatement réduites ; les difficultés diplomatiques qui se présentent sur un autre terrain sont