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Ce n’est pas tout : la consolidation de notre empire colonial ne réclame point seulement une consommation de fonctionnaires. Pour servir ses intérêts en Orient et en extrême Orient, la France a besoin de pionniers vigoureux qui étendent en toute direction notre influence économique. Il lui faut surtout et avant tout des négocians et des industriels.

Les jeunes Français redoutent de longs exils. Insuffisamment préparés, il faut avoir le courage de le reconnaître, peu versés dans la pratique des langues étrangères, entravés par une loi militaire rigoureuse, découragés souvent aussi par les difficultés d’acclimatement auxquelles est en proie l’Européen sous le climat débilitant ! des tropiques, ils hésitent à partir ; — et c’est la semence étrangère qui vient trop souvent, hélas ! remplir le sillon péniblement creusé par nos armes.

Puisque la métropole ne suffit pas à pourvoir de cadres français les travailleurs de ses colonies, pourquoi ne pas demander aux colonies de constituer elles-mêmes et de recruter dans l’élite de leur population cet état-major nécessaire ? Il appartiendra à l’école cambodgienne, agrandie et pourvue de moyens d’action plus puissans, d’instituer à l’usage de cette catégorie de pensionnaires un enseignement approprié au but spécial qu’il s’agit d’atteindre.

Quelques esprits chagrins se demanderont peut-être, avec quelque apparence de raison, si les sujets que l’on aura ainsi appelés à la vie occidentale ne constitueront pas plus tard un danger pour notre propre sécurité. N’est-il pas à redouter, disent-ils, que les pupilles, émancipés par nous, ne retournent contre leurs protecteurs les armes qu’ils auront eu la naïveté de mettre entre leurs mains ?

Ces craintes sont chimériques. Il suffit pour s’en convaincre de constater ce qui s’est passé avec les hôtes actuels de la rue Ampère. Au moment de leur départ de Phnôm-Penh, le Cambodge était fort troublé. Des tentatives d’insurrection dont nos soldats eussent été les premières victimes semblaient imminentes, et les jeunes émigrans avaient fort à faire pour repousser les préventions que leurs proches avaient contre la France. Au contact de ce foyer de lumière qu’on appelle Paris, ébloui par son éclat et sa puissance, rien n’est resté de ces préventions dans l’esprit de nos jeunes Cambodgiens. A la réserve soupçonneuse des premiers jours a fait place un courant sympathique qui va grandissant[1]. J’en ai été remué

  1. Grâce aux correspondances échangées par les élèves avec leurs familles, la réputation de l’école cambodgienne est déjà si bien établie au Cambodge que plusieurs des fils du roi Norodom ont fait des démarches actives pour être envoyés à Paris.