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une bruyante hilarité, qui, de proche en proche, gagna jusqu’à l’arrière-garde. Ce fut dans cette heureuse disposition qu’après avoir gravi allègrement une dernière hauteur, l’armée aperçut tout à coup, resplendissantes de blancheur au soleil, les innombrables tentes des camps marocains.

Tous les mamelons en étaient couverts, depuis Oudjda jusqu’à l’Isly. Au milieu de la foule qui s’agitait en prenant les armes, on distinguait parfaitement le groupe du fils de l’empereur, ses drapeaux, son parasol de commandement. Ce fut le point de direction donné à l’avant-garde. Tous les chefs des principales fractions de l’armée, appelés par le maréchal, reçurent ses dernières infractions ; chacun retourna diligemment à son poste, la formation de combat fut prise, et le losange, éployant ses ailes, descendit, au son des musiques de régiment, vers la rivière qu’il fallait passer encore.

Les gués ne furent que faiblement disputés ; mais, par-delà, le maréchal et ses troupes se trouvèrent entourés de toutes parts et disparurent dans les flots de poussière soulevés par le tumulte de la cavalerie marocaine comme un navire battu par des vagues dans les embruns d’une mer démontée. La gauche, particulièrement, fut assaillie avec une violence extrême ; les Marocains, s’excitant par de bruyantes clameurs, se jetaient d’un échelon sur l’autre, en essayant de passer par les intervalles ; partout leur effort échoua devant le feu des tirailleurs qui se flanquaient mutuellement ; deux bataillons seulement furent obligés de former le carré ; les autres continuèrent de rester en colonne à demi-distance.

Dès que le maréchal s’aperçut que, sous l’effet des balles et de la mitraille, la massa assaillante commençait à se disloquer, il donna au colonel Tartas l’ordre de faire sortir du losange ses dix-neuf escadrons et de les échelonner de sorte que le dernier échelon fût appuyé à la rive droite de l’Isly. A la tête des spahis soutenus par le 4e chasseurs d’Afrique, le colonel Jusuf mena la charge contre le camp de Mouley-Mohammed. Une batterie de onze pièces était déployée sur le front de bandière ; mais elle ne put tirer qu’une salve ; les canonniers sabrés se dispersèrent. En avant de la tente impériale, cavaliers et fantassins confondus essayèrent d’arrêter les spahis ; mais les chasseurs, venant à la rescousse, culbutèrent l’obstacle, et, dès lors, tout le camp fut la proie du vainqueur.

Pendant ce temps, le colonel Morris, emporté par son ardeur, s’était lancé au loin, de l’autre côté de l’Isly, à l’attaque d’une grosse troupe de cavalerie ralliée sur la rive gauche. Ce fut le seul moment critique de la bataille ; mais, pendant plus d’une demi-heure, les six escadrons du 2e chasseurs qu’il commandait, c’est-à-dire 650 hommes seulement, se trouvèrent sérieusement engagés