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La seule méthode légitime en métaphysique devient alors ce que les kantiens appellent la méthode morale ; c’est celle qui juge les systèmes d’après leur rapport avec la volonté et avec sa loi, le devoir. Cette méthode, dont on retrouve les antécédens chez certains mystiques du christianisme, puis chez Pascal, et que reproduisirent plus tard Kant, Fichte, Maine de Biran, Hamilton, est soutenue aujourd’hui par presque tous les kantiens orthodoxes ou hétérodoxes, notamment MM. Renouvier, Secrétan, Lachelier. Pour la justifier et la répandre, M. Renouvier a fondé une revue qui rend de grands services à la philosophie et qui, en même temps, pose les bases d’un protestantisme large et libéral. Le dernier livre de M. Renouvier suspend la métaphysique entière à une décision du libre arbitre pour ou contre les trois postulats de la morale : liberté, immortalité et Dieu. M. Secrétan, à son tour, déclare que « l’obligation morale est le principe de toute certitude[1]. »

La question est de la plus haute importance, puisqu’il s’agit des droits réciproques de la science, de la morale et de la métaphysique. Bien plus, la religion y est tout entière intéressée, parce qu’elle repose tout entière sur la « foi. » Aussi les nouveaux apologistes de la religion, en Allemagne et en Angleterre comme en France, ont-ils fait du kantisme l’introduction au christianisme. S’il y a une foi essentiellement distincte de la connaissance à ses divers degrés, du savoir appliqué au certain, au probable et au possible; s’il y a une foi résultant de notre seule volonté, non de la somme de nos idées combinées avec la somme de nos sentimens et de nos amours, la religion se trouvera avoir en nous un fondement propre, distinct de la science et de la philosophie : il n’y aura plus qu’à étendre le domaine de la foi et à faire porter notre volonté de croire sur tels symboles, tels mystères, tels miracles, pour arriver aux religions positives. Cette méthode a été suivie par M. Secrétan. L’étude des principes sur lesquels elle s’appuie est particulièrement propre à faire comprendre la période critique que traverse la métaphysique contemporaine.


I.

La théorie de M. Renouvier sur le rôle du libre arbitre comme produisant la certitude est celle de son ami Jules Lequier, dont il a publié pieusement les beaux fragmens sur la Recherche d’une première vérité. Cette « première vérité, » comme nous allons le voir, n’est autre chose qu’un acte de foi libre. Un jour, dans le jardin paternel, au moment de prendre une feuille de charmille, Jules Lequier

  1. La Civilisation et la Croyance, p. 224.