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notre liberté, qui est sa propre condition. Selon nous, il affirme seulement que j’ai l’idée de liberté, que j’agis sous cette idée, en vue de cette idée, que je m’efforce de la réaliser en moi, et qu’il me semble qu’en effet je la réalise ; mais, tant que la spéculation laissera planer un doute sur la réalité de cette idée, l’action n’aura pas le pouvoir de supprimer ce doute : j’agirai pour être libre et comme si j’étais libre ; le succès au moins apparent de mes efforts augmentera ma confiance en ma liberté possible ; il ne me permettra jamais d’appeler certaine une liberté qui resterait douteuse pour ma pensée. M. Secrétan, qui nous prend à partie sur cette question de la liberté, nous objecte que penser ainsi, « c’est nier l’autorité que la conscience affirme, c’est prendre une position que la conscience réprouve. » — Nous ne saurions admettre en philosophie cette sorte de question préalable par laquelle on repousserait a priori les argumens de l’adversaire en prétendant que « la conscience les réprouve. » Il faut laisser aux théologiens ce mode d’argumentation expéditive, M. Secrétan l’emploie encore ailleurs lorsqu’il dit : « Il est clair que le bien moral, primant tout, contient les raisons de tout. Nul ne saurait contester cela,.. car c’est proclamer son ignominie que de mettre quelque chose en balance avec la probité. » Est-il donc si clair que la « probité, » primant tout dans notre conscience, contienne les « raisons » de tout ce qui existe, de tant de mondes qui nous ignorent, des étoiles qui se consument sur nos têtes et des animaux qui s’entre-dévorent autour de nous? S’il en était ainsi, divinité, immortalité et liberté ne seraient même pas des postulats, mais des évidences.

— Soit, dira-t-on, nous consentons à laisser dans le doute les postulats du devoir, divinité, immortalité, liberté; mais au moins y a-t-il un objet dont l’acte moral affirme la réalité, c’est le devoir même, c’est la loi impérative et catégorique, qui cependant, pour la pure spéculation, reste douteuse. — Admettons, ce qui n’est pas démontré et demanderait examen, que, dans la spéculation, la loi morale reste en effet douteuse, au moins comme loi absolue et catégorique, je réponds qu’elle restera douteuse quoi que je fasse ; alors même que je me sacrifierai pour cette idée, je reconnaîtrai que je me sacrifie à la plus haute des idées sans être certain de sa réalité objective. MM. Secrétan et Renouvier répètent sans c se : « c’est un devoir d’être certain du devoir et de l’affirmer. » Dans l’abstrait, rien de plus spécieux que cette formule ; mais, de deux choses l’une : ou l’on est dans le domaine de la spéculation philosophique, et alors la proposition est contradictoire ; car, si le devoir a un caractère de certitude spéculative, il n’y a pas lieu de dire qu’on doit en être certain, ce qui suppose la possibilité de n’en être pas certain. Croire que deux et deux