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ses rapports avec le tout; l’idée morale est, en raccourci, une théorie métaphysique sur la valeur finale des choses, sur le dernier fond de la réalité et sur la vraie direction de l’idéal. Loin de dominer la théorie, la pratique n’est donc que la mise en œuvre d’une théorie plus ou moins confuse ou claire. La foi de Colomb était faite d’idées et de sentimens, non d’affirmations volontaires : elle était une idée dominatrice, une idée-force, et la volonté même de Colomb n’était que le prolongement intérieur de cette force, comme son voyage en était la propagation à l’extérieur : cette idée s’est manifestée à chaque vague franchie par son navire, elle s’est manifestée au rivage qu’il a pu aborder. Le sillage du navire a disparu pour nos yeux, quoique, comme les « vaisseaux de Pompée, » il fasse encore frémir la mer en secret; mais le sillage de l’idée, lui, est toujours visible : il ne s’effacera point tant qu’il y aura une civilisation nouvelle en Amérique, tant qu’il y aura communication entre l’Amérique et l’Europe, tant que, sous les océans, la pensée circulera d’un continent à l’autre avec le frisson de l’électricité. Nous sommes tous, comme Christophe Colomb, à la recherche d’un nouveau monde, avec le risque du grand naufrage, et nous agissons, comme Colomb, en vertu de spéculations vraies ou fausses sur l’au-delà dont un océan nous sépare.

Foi, espérance, charité, — ces trois vertus théologales du christianisme, comme les trois Grâces du paganisme, se tiennent par la main et sont étroitement enlacées; mais, dans ce chœur divin, ou, si l’on veut, dans cette union de vertus profondément humaines, c’est la pensée même de l’idéal, non une foi mystique, qui entraîne à sa suite l’espérance et l’amour. La pensée n’a pas besoin de faire appel à un acte mystérieux et vertigineux de libre arbitre, à un acte de croyance au-delà des raisons ; sa foi n’est autre que sa bonne foi ; la sincérité absolue est sa règle. Quant à l’espérance, la pensée l’enveloppe en elle-même, puisque penser un idéal, c’est en commencer déjà la réalisation à venir. Enfin la pensée enveloppe l’amour, puisque penser un idéal, c’est le penser pour autrui comme pour soi, et c’est déjà tendre à le réaliser pour les autres en même temps que pour soi. Voilà, croyons-nous, la vraie « religion dans les limites de la raison, » que cherchait Kant; elle est la méta- physique même, avec la morale qui en est l’application.


ALFRED FOUILLEE.