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le plus riche de l’univers, l’artisan d’une de ces fortunes gigantesques qu’on ne voit qu’aux États-Unis.

Dans le langage net et clair d’un homme d’état exposant aux mandataires du pays une situation unique dans l’histoire, le nouveau président leur signalait cette fois les dangers d’un trésor regorgeant de numéraire, ne sachant plus que faire de ses recettes grossissant chaque année, de ses excédens se chiffrant par centaines de millions, et cela nonobstant le rachat anticipé de ses engagemens, la conversion du papier en espèces et l’emploi de tous les moyens légaux à sa disposition pour réduire l’encaisse métallique.

Il leur montrait l’or aspiré par le mécanisme d’impôts établis vingt ans auparavant, à l’issue de la guerre de sécession, affluant dans les caisses publiques plus rapidement qu’il n’en pouvait sortir, pompe aspirante qui puisait incessamment dans une nappe d’or chaque jour plus large et plus profonde, engorgeant un réservoir dont le débit, calculé avec une sage prévoyance, restait le même et ne suffisait plus à l’écoulement de ce Pactole débordant. Le niveau montait, dépassant toutes les prévisions, déjouant tous les calculs. De 1883 à 1885, on pratiquait une large saignée ; 700 millions prélevés sur le surplus et versés à la caisse d’amortissement étaient employés au rachat anticipé de la dette publique ; mais l’encaisse se reconstituait si rapidement, qu’en 1886 on devait affecter 400 autres millions au remboursement, avant échéance, des bons 3 pour 100. En juillet 1887, nouveau prélèvement. On rachète sur le marché libre 233 millions de titres, avec une prime moyenne de 16 pour 100. Six mois après, le surplus dépasse encore 700 millions dont on n’a que faire, et, pour 1888, on en est à redouter 1 milliard d’excédent.

À cela deux remèdes : dépenser plus ou encaisser moins. Entreprendre de grandes œuvres d’utilité publique, ouvrir de vastes chantiers, donner du travail à l’ouvrier qui chôme, attirer l’émigration qui se ralentit, déverser ce flot de numéraire sur le pays, susciter partout une aisance éphémère et une prospérité factice. C’est aussi l’accroissement du fonctionnarisme, l’augmentation des places et des traitemens, un patronage plus étendu, plus de moyens de récompenser ses amis, de concilier ses adversaires, de grossir le nombre de ses partisans.

Pour un président rééligible, à la veille d’une réélection, la mesure est tentante ; c’est la popularité, déjà grande, devenant irrésistible, la nomination certaine. Mais c’est renoncer à la séculaire sagesse, rompre avec les traditions d’économie, avec les erremens d’un passé glorieux, substituer à l’initiative privée celle de l’état,