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les choses pour les œuvres de l’esprit. Idées et faits leur apparaissent tout simples, isolés, sans profondes racines plongeant dans la pénombre, puis dans la nuit ambiantes; tels ils les voient, tels ils les expriment, ou plutôt leur travail de songeurs et d’écrivains est de les faire plus clairs encore qu’ils ne les ont vus, de les amener à leur dernier degré de netteté. C’est tout l’opposé de la tâche que s’imposent d’autres races, guidées à penser par d’autres instincts, et qui ne jouissent qu’à embrasser le plus possible des causes et des dépendances de chaque objet; et l’effort des esprits nés de ces races est, sans qu’ils en puissent approcher, de reproduire la synthèse du réel dans sa complexité; d’où la mélancolie suivant le rêve, par l’impuissance de se satisfaire jamais.

Quant à montrer que la pensée des anciens est plus digne et plus haute que celle de nos bons Gaulois, il est fort superflu de s’y attarder. Le lecteur voudra bien se rappeler seulement de quels traits on a marqué le Gaulois au début de cette étude, et comparer cette esquisse à l’idée qu’il porte certainement en lui d’un philosophe ou d’un poète antique. Le point intéressant est de savoir si le Gaulois, trop faible pour égaler par lui-même les anciens, sera capable de profiter utilement de leurs leçons.

Il se les assimilera merveilleusement comme une nourriture faite exprès pour lui, grâce à l’affinité du génie des races; il sera tel qu’un enfant intelligent et plein de sève à l’école d’un grand frère raffiné. Le sang mêlé de ses veines le rendra d’ailleurs plus facile qu’un homme de race plus pure (disons le mot : plus noble) à se laisser influencer par l’étranger.

L’étranger! Mais est-ce bien l’étranger qui vient à lui? Nombre de gens estiment que la renaissance par l’antiquité nous priva du développement de notre originalité nationale ; c’est un crime, à leurs yeux, d’avoir sacrifié les souvenirs du moyen âge, seule époque de notre originalité. Mais pourquoi les chansons de geste et les légendes d’inspiration franque, les romans de la Table-Ronde d’inspiration celtique, les poésies provençales d’inspiration latine, seraient-elles considérées comme plus originales que les œuvres du XVIIe siècle d’inspiration antique? Il n’y a d’absolument original, à vrai dire, dans nos lettres, que les œuvres dites gauloises, et l’on voudra bien convenir que nous aurions mauvaise grâce à regretter de ne nous en être pas uniquement contentés ; d’ailleurs, la renaissance n’a pas gêné Molière et La Fontaine. Et imitation pour imitation, emprunt pour emprunt, étranger pour étranger, quelle raison de préférer le Franc au Latin? C’est un Germain, après tout, que le Franc. Son génie est noble, mais pas plus noble que celui de nos ancêtres de Rome, et beaucoup plus dissemblable du génie dit gaulois. On assure