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estimait originaux et neufs ces plastrons traditionnels. Mais si, tandis qu’on était à s’amuser de la sorte, l’une des victimes du badinage passait sous les fenêtres, chacun aussi s’empressait à la saluer et souvent bien bas, car il va de soi que la colère et l’aigreur n’étaient pour rien dans ces propos. Propos de table! A table, nos bons Gaulois étaient sans rivaux, et, s’ils y causaient bien, ils y mangeaient mieux encore. L’eau vient à la bouche de lire les lettres qu’ils s’envoyaient sur leurs lippées. Lorsque Etienne Pasquier voyageait, voici quelles étaient ses impressions de gourmet sur les pays qu’il traversait : « Il ne faut plus, écrivait-il d’Angoumois au président de Charmeaux, qu’on me solemnise notre Touraine pour le jardin de la France : il n’est pas en rien comparable à cestuy, ou, s’il est jardin, cestuy est un paradis terrestre. Je ne vis jamais telle abondance de bons fruits, grosses pavies, auberges, muscats, pommes, poires, pêches, melons les plus sucrins que j’aie jamais mangés. Je vous ajouterai saffran et truffes, avec cela bonnes chairs, bon pain, bonnes eaux le possible ; et, qui est une seconde âme de nous, bons vins, tant blancs que clairets, qui donnent à l’estomac, non à la tête. Grosses carpes, brochets et truites en abondance... Vous penserez par aventure que je me truffe. »

Nous voici donc engagés à regarder le spectacle qu’a donné notre personnage en vivant. Suivons sa vie selon son cours, autant que nous le pourrons, sans nous imposer par trop de gêne. Pleine d’honneur, elle est cependant presque vide d’événemens.

Les débuts de Pasquier au barreau furent pénibles et ses progrès fort lents. Il végéta plus de quinze années, confondu dans la foule des avocats, distingué seulement par un petit groupe de personnes intelligentes qui lui promettaient un bel avenir sur la foi de ses premiers essais littéraires en vers et en prose. Ce ne fut qu’en 1565, à trente-sept ans bien sonnés, qu’il sortit du rang par un coup d’éclat. Il nourrissait de longue date un désir très âpre d’arriver ; ses impatiences, ses dégoûts, avaient été extrêmes ; ceci n’a rien d’incompatible avec la raison pratique da Gaulois : même, il avait été tenté de jeter la robe aux orties, puis, se tâtant, il avait découvert que la célébrité dans les lettres ne lui suffisait point, et s’était résolu d’attendre une occasion qui le mît en pleine lumière du palais. Cette occasion fut le procès, demeuré fameux, qu’il plaida pour l’Université de Paris contre les jésuites. Il y mit tout son âme, et je crois qu’il y apporta une pleine conviction. On s’explique parfaitement, sans besoin d’interprétation malicieuse, l’ardeur qu’il déploya contre la compagnie dont les statuts s’écartaient si fort de l’esprit universitaire, parlementaire et gallican. Au XVIe siècle comme plus tard, les jésuites, par leurs institutions mêmes, ne pouvaient