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montre Etienne Pasquier dans sa chambre, un jour de l’année 1613, et vieux, bien vieux! Depuis de longs jours il est malade; ses enfans et ses petits-enfans s’opposent à ce qu’il sorte ; il se résigne à leurs volontés, il ne quitte plus son fauteuil et le coin du feu. Personne ne vient plus le voir. Que le voilà loin du temps, enfui depuis vingt ans, où déjà âgé, mais tout gaillard encore, il écrivait à la duchesse de Retz : « Voyez, madame, combien je piaffe en moi-même. Je fais la figue aux jeunes mentons. Ils me jugent de peu d’effet; mais pendant qu’ils se font accroire cela (peut-être à de fausses enseignes), par un passe-droit spécial de ma barbe grise je me dispense (je m’accorde] parfois de crocheter des baisers où ils n’oseraient aspirer; baisers, dis-je, lesquels s’ils n’ont telle suite que je désirerais, aussi n’est cette faveur accordée à tous, voire à ceux-là mêmes qui, par une opinion de leur poil follet, pensent être de plus grand mérite que nous... » L’heure des suprêmes gentillesses est à jamais finie. Le pauvre vieux délaissé va-t-il donc s’attrister, songer creux, perdre le goût de ce qui lui reste de vie, en regardant ses tisons brûler? Non, car il a près de son fauteuil sa table, ses livres, ses papiers; sa pensée continue de vivre, aussi courageuse et saine qu’elle fut jamais. Il retouche ses ouvrages en s’inspirant de ceux des autres. « Les auteurs, dit-il, me donnent souvent des avis auxquels jamais ils ne pensèrent, dont j’enrichis mes papiers. » Si quelqu’un entre, lui annonçant qu’au dehors il pleut, grêle, gèle, neige, brouillasse, vente, il se trouve doublement joyeux de sa belle installation devant ses landiers : le voilà tout à fait à l’abri des inconvéniens du monde extérieur; il n’a plus que les douceurs de paresser, qu’il savoure en gourmet. « Et voilà, dit-il pour conclure, comme, ménageant santé à mon corps et tranquillité à mon esprit, le jour ne dure qu’une heure et les heures un moment. »

Tout de cette lettre est charmant et vaudrait qu’elle fût dans toutes les mémoires, pour aider à vivre aux heures de grande lassitude.

Celle qu’il écrivit le jour de Noël de la même année à son curé, maître George Froget, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, plaît également. Il ne pouvait sortir pour aller à l’église, et crut bon de s’en excuser; il le fit en des termes touchans par leur simplicité. Afin de montrer à son pasteur qu’il était occupé de Dieu comme son âge le voulait, il lui envoyait des méditations religieuses qu’il venait de composer et le priait de lui en dire son sentiment; il eût été désolé que quelque allégation contraire à la foi s’y fût glissée. — Sur un point cependant, il ne cédait pas à maître Froget, il ne cédait à nul théologien : ces messieurs finirent par renoncer à