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de paix ne sera plus que juge ; l’administration passera aux conseillers élus, qui exerceront le gouvernement local, sans avoir même à subir la tutelle d’un préfet. Le nouveau bill ne s’applique pour le moment qu’à l’Angleterre et au pays de Galles ; il est évidemment destiné à régir tous les pays britanniques, et si le gouvernement a refusé de l’étendre à l’Irlande, comme on le lui a déjà demandé, c’est qu’il pense qu’aujourd’hui encore, au lieu d’être un moyen de pacification, le bill ne serait qu’une arme de plus aux mains des nationalistes irlandais.

Telle qu’elle est, cette réforme, qui a déjà subi l’épreuve d’une première lecture à la chambre des communes, n’est pas moins, par son principe, par ses conséquences inévitables, une vraie révolution, et ce qu’il y a de plus caractéristique, c’est qu’elle est proposée par un ministère conservateur. Rien n’atteste mieux, assurément, le travail profond qui s’accomplit dans les idées, dans les mœurs politiques et administratives de l’Angleterre, envahie de plus en plus à son tour par la démocratie. Rien ne montre mieux aussi la transformation progressive des anciens partis anglais. Les vieux mots de « whigs » et de « tories, » semblent avoir perdu leur signification traditionnelle. Ces divisions si tranchées d’autrefois disparaissent. Les anciens partis sont confondus et tendent à former des agrégations nouvelles plus ou moins libérales. Entre les nouveaux conservateurs du ministère Salisbury et les libéraux de la nuance de lord Hartington, de M. Goschen, l’alliance s’est faite pour la défense de l’unité britannique contre le home rule, et cette alliance, loin de s’affaiblir, comme on le croyait d’abord, semble plus forte que jamais. Lord Hartington, recevant récemment le droit de bourgeoisie à Guildhall, ne désavouait rien de la politique qui l’avait séparé de M. Gladstone : il revendiquait fièrement, au contraire, l’honneur de défendre, avec le gouvernement, l’intégrité de l’empire. Un des chefs radicaux, M. Chamberlain lui-même, dans un discours qu’il a prononcé dernièrement, a exprimé les mêmes opinions. Il avait accepté, il y a quelque temps, une mission aux États-Unis pour négocier une convention sur les pêcheries et, depuis son retour, il persiste plus que jamais à rester séparé de son ancien parti. Il n’a point hésité à déclarer que le ministère qui avait présenté le bill du gouvernement local était aussi libéral, aussi pénétré des idées démocratiques, aussi avancé que tous les ministères qui pourraient être présidés par M. Gladstone. Ces déclarations si nettes, si décidées, ont pu même laisser supposer que M. Chamberlain serait destiné à entrer avant peu au pouvoir avec lord Salisbury, et ce ne serait sûrement pas impossible. L’alliance du moins paraît assez complète, ou, si l’on veut, la scission des libéraux, des radicaux dissidens avec M. Gladstone, ne semble pas près de cesser.

C’est ce qui fait pour le moment la force de lord Salisbury dans la mêlée des partis en travail de décomposition ou de reconstitution.