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LA LÉGENDE DE KRISHNA.

reté du cœur et dans l’amour divin. Vierge et mère, nous te saluons. Un fils naîtra de toi qui sera le sauveur du monde. Mais ton frère Kansa te cherche pour te faire périr avec le fruit tendre que tu portes dans tes flancs. Il faut lui échapper. Les frères vont te guider chez les pâtres qui habitent au pied du mont Mérou, sous les cèdres odorans, dans l’air pur de l’Himavat. Là, tu mettras au monde ton fils divin et tu l’appelleras : Krishna, le sacré. Mais qu’il ignore son origine et la tienne ; ne lui en parle jamais. Va sans crainte, car nous veillons sur toi. »

Et Dévaki s’en alla chez les pasteurs du mont Mérou.

III. — LA JEUNESSE DE KRISHNA.

Au pied du mont Mérou s’étendait une fraîche vallée semée de pâturages et dominée par de vastes forêts de cèdres, où glissait le souffle pur de l’Himavat. Dans cette vallée haute habitait une peuplade de pâtres sur laquelle régnait le patriarche Nanda, l’ami des anachorètes. C’est là que Dévaki trouva un refuge contre les persécutions du tyran de Madoura ; et c’est là, dans la demeure de Nanda, qu’elle mit au monde son fils Krishna. Excepté Manda, personne ne sut qui était l’étrangère et d’où lui venait ce fils. Les femmes du pays dirent seulement : « C’est un fils des Gandharvas[1]. Car les musiciens d’Indra doivent avoir présidé aux amours de cette femme, qui ressemble à une nymphe céleste, à une Apsara. » L’enfant merveilleux de la femme inconnue grandit parmi les troupeaux et les bergers, sous l’œil de sa mère. Les pâtres l’appelèrent « le Rayonnant, » parce que sa seule présence, son sourire et ses grands yeux avaient le don de répandre la joie. Animaux, enfans, femmes, hommes, tout le monde l’aimait, et il semblait aimer tout le monde, souriant à sa mère, jouant avec les brebis et les enfans de son âge ou parlant avec les vieillards. L’enfant Krishna était sans crainte, plein d’audace et d’actions surprenantes. Quelquefois on le rencontrait dans les bois, couché sur la mousse, étreignant de jeunes panthères et leur tenant la gueule ouverte sans qu’elles osassent le mordre. Il avait aussi des immobilités subites, des étonnemens profonds, des tristesses étranges. Alors il se tenait à l’écart, et grave, absorbé, regardait sans répondre. Mais par-dessus toute chose et tous les êtres, Krishna adorait sa jeune mère, si belle, si radieuse, qui lui parlait du ciel des Dévas, de combats héroïques et des choses merveilleuses qu’elle avait ap-

  1. Ce sont les génies qui, dans toute la poésie indoue, sont censés présider aux mariages d’amour.