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qu’en quelque façon que ce fût et pour aucune raison au monde, il ne soustrairait ces cités à la puissance de Pierre, ni à l’autorité de l’église romaine ou du pontife du saint-siège. Il affirma sous serment qu’il avait combattu non pour plaire à un homme, mais par amour du bienheureux Pierre et pour la rémission de ses péchés ; tous les trésors de la terre ne le décideraient pas à enlever à l’apôtre ce qu’il lui avait offert... Après cette réponse, il congédia l’envoyé impérial.»

Le pape est donc devenu un souverain temporel. Sur une partie du territoire italien, il est substitué à l’empereur. L’événement avait été préparé de longue date, prudemment, doucement, par toutes sortes de moyens, grands et petits, par des ruses et par des équivoques. Deux mots, en ce temps-là, ont une jolie histoire, les mots « rendre » et « république. » S’ils avaient été employés dans leur vrai sens, le pape, lorsqu’il demandait qu’on lui rendit quelque chose, aurait entendu par là une restitution de biens appartenant à son église. Lorsqu’il parlait de rendre à la république ce qui avait été usurpé sur elle, il aurait réclamé la restitution à la république, c’est-à-dire à l’empereur, des cités et territoires dont celui-ci était le souverain. Cette distinction entre l’église et l’état, entre la sedes aposlolica et le res publica est faite par les chroniques franques. Les documens ecclésiastiques, au contraire, enveloppent l’église et la république dans une locution intraduisible. Au Liber pontificalis le biographe d’Etienne invoque « les droits de propriété de la sainte église de Dieu de la république, proprietatis sanctœ Dei ecclesiœ rei publicœ jura. » Il dit encore : « Ce qui appartient en propre à la sainte église de Dieu de la république des Romains, propria sanctœ Dei ecclesiœ rei publicœ Romanorum. » Etienne se sert des mêmes expressions : « Le bienheureux Pierre et la sainte église de Dieu de la république des Romains. » La conjonction et a disparu. Au retour du voyage en Gaule, le pape est plus hardi. Sans ménagemens, il écrit : « Les cités du bienheureux Pierre ; » ou bien : « Mon peuple de la république des Romains, noster populus rei publicœ Romanorum. » Cette fois, il ne reste même plus de place pour la conjonction : la confusion est accomplie. Elle n’a étonné personne, parce qu’elle s’est faite insensiblement, par des voies diverses. Tout d’abord, l’apôtre Pierre est un pasteur à qui des brebis ont été confiées. Chaque évêque a les siennes, mais le troupeau de l’évêque universel ne paît pas dans un seul diocèse. Le peuple de Ravenne lui appartient, comme le peuple de Rome. Quand le pape demande des restitutions aux Lombards, ce sont ses brebis perdues qu’il réclame, perditœ oves. Il y a comme cela des paraboles et des métaphores