Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la prolonger jusqu’à la venue de l’antéchrist et au jugement dernier. En attendant, le christianisme s’acclimatait dans l’empire. L’église installait sa hiérarchie dans les cadres officiels. Elle acceptait ou briguait les biens, les honneurs et les privilèges. Mais elle avait laissé dans les catacombes, avec les vertus des premiers jours, l’indépendance. Le pape, devenu un César spirituel, courait risque d’être opprimé par son collègue temporel, qu’il avait laissé s’avancer jusqu’à la porte du sanctuaire. Les mœurs se corrompaient ; la foi même était compromise, depuis le jour où elle était tombée au rang des affaires d’état. L’église du Christ était si bien façonnée à cette servitude dorée, que le pape poursuivit de son respect et de son obéissance l’empereur réfugié à Constantinople. Voici que l’éloignement de César, les fautes des Byzantins, l’irrésistible force des choses, la poussée du nouveau qui élimine l’ancien, tout concourt à l’affranchissement du successeur de Pierre. L’Occident est enfin libéré de l’empire. Une ère toute nouvelle va s’ouvrir, semble-t-il ; de nouvelles expériences vont être tentées. L’uniformité romaine est rompue : aux lieu et place des officiers de César règnent en Gaule, en Espagne, en Angleterre, en Italie, des rois qui ne sont ni des tyrans de leurs peuples, ni des oppresseurs de l’église. Il y a en Europe plus de variété, plus de liberté, l’espérance d’une vie plus féconde. La papauté pouvait-elle essayer dès lors cette destinée magnifique d’un pouvoir spirituel supérieur aux nations qui s’annoncent, arbitre de la foi, juge des mœurs des peuples et des rois? Elle n’y a même point songé. L’évêque de Rome n’a pu se soustraire à la tyrannie des grands souvenirs profanes. A ses yeux, l’empire n’est pas détruit : il est vacant. Rome, séparée de Constantinople, a ressaisi le pouvoir de faire des empereurs. Qui donc va être empereur? Ce n’est pas le roi des Lombards, qui est l’ennemi des Romains. Ce n’est pas le roi des Francs, qui n’est encore qu’un allié et un serviteur. D’ailleurs, des Germains ne sont pas faits pour être des Césars. Rome elle-même produira le maître du monde. Il est tout désigné. Le pape a confondu l’église et la république ; il dit : « Ma république ; » par conséquent, il est l’empereur. Voilà le fait : reste à trouver un droit à ce fait : on le cherche et le trouve. Ce droit a commencé le jour où l’empereur a émigré en Orient. Il procède de Constantin, qui a quitté Rome pour laisser place libre au pape. Sur ce thème travaille l’imagination pontificale. On ne doute plus de la donation ; on en parle; on croit l’avoir vue, on la voit. Un jour, elle est tout écrite... Mais quelle revanche pour l’orgueil et les pompes de cette antiquité, maudite par les premiers chrétiens! Comparez la douce pauvreté mystique de l’évangile aux appétits d’honneurs et de biens qui transpirent de ces pages, où le mot « impérial » est répété à