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Je sais que l’église chrétienne a eu, comme l’empire, l’ambition « d’élever les âmes jusqu’au ciel, et d’égaler ses frontières à celles de la terre; » qu’elle a pris l’empire pour domicile et s’y est plu ; qu’après avoir adopté César, elle s’est prosternée devant lui; qu’elle a mis à Rome son siège principal, et qu’elle est demeurée fidèle à la Ville après que César l’a désertée; qu’elle a tourné les regards des peuples nouveaux vers l’empereur réfugié à Constantinople ; qu’elle est restée fidèle au maître du monde, jusqu’à ce qu’il ait lassé sa fidélité : que, l’empire faisant défaut, l’ambition est venue à la papauté de le remplacer sur la terre, et d’ajouter le gouvernement des corps à celui des âmes. En rêve, le pape étend la main vers le sceptre et la couronne ; en imagination, il se fait empereur. Pauvre César, qui n’est point le maître même des rues de Rome, et qu’on attaque à quelques pas du Latran, et qu’on fustige et qu’on écorche, et qui s’échappe de nuit en glissant le long d’une corde, comme un malfaiteur! Le pape alors se ravise; il fait ou il accepte un empereur.

Je ne sais pas si Charlemagne a eu l’ambition de s’appeler empereur, mais je vois que la nation des Francs, dès le baptême de Clovis, a été marquée pour faire une œuvre universelle par l’évêque Avitus et par le pape Anastase. Plus tard, telles lettres de Grégoire le Grand à Brunehaut et à ses fils annoncent l’empire : « Autant un roi l’emporte sur le reste des hommes, autant votre royaume sur les royaumes des autres nations. » Grégoire estime que les rois francs sont les maîtres légitimes des peuples païens : « Par votre foi, vous êtes leurs rois et seigneurs. » Dès que les Carolingiens apparaissent, la papauté se tourne vers eux. Église et Francs pouvaient agir, chacun de son côté, les Carolingiens ressaisissant la Gaule, refoulant les Arabes, conquérant la Germanie, les papes soumettant à leur discipline les églises anciennes et fondant des églises nouvelles, sans que les destinées de ces deux puissances fussent confondues, comme elles l’ont été le jour du couronnement. Mais les papes ont attiré les Francs sur la terre impériale, dans la ville impériale, au berceau même de l’empire. Ils les ont nommés le peuple de Dieu, leur ont rappelé en toute occasion leur office, qui était la protection de l’église et la victoire perpétuelle. Ils leur ont promis l’empire du monde. Et Charlemagne conquérait le monde. Sur toutes ses frontières, il avait engagé la lutte contre les barbares demeurés païens, Sarrasins, Danois, Slaves, Avares. Tous ceux qui portaient le titre de roi se considéraient comme ses vassaux. Egbert, l’Anglo-Saxon, venait vivre à sa cour pour prendre modèle sur le maître. Le roi des Scots l’appelait son seigneur. Le roi des Goths d’Espagne, Alphonse,