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ont entassé leurs détritus, dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Jamais un coup de balai n’y a été donné. L’ouverture unique qu’on décore du nom de fenêtre est bouchée avec des haillons ou couverte de planches pour empêcher le vent et la pluie d’entrer. Chaque chambre abrite une famille et souvent deux. L’enquête dont j’ai parlé en commençant a révélé des faits inouïs. Tantôt c’est un inspecteur de salubrité qui trouve, dans une cave, un homme, une femme, leurs quatre enfans et trois porcs. Plus loin, sept personnes vivent dans une cuisine souterraine, avec le cadavre d’un petit enfant au milieu d’elles. Ailleurs, on trouve une veuve, trois enfans vivans et un quatrième qui est mort et qui gît là depuis treize jours.

Dans ces cloaques infects, d’honnêtes ouvriers vivent avec leurs familles au milieu des voleurs, des assassins et des filles publiques ; la moralité et la décence y sont inconnues. Peu de gens sont mariés, et personne ne s’en soucie. L’union libre triomphe, et l’inceste vient souvent s’y associer.

Il ne faut pas croire que ces détails soient empruntés aux romans de Dickens ou même aux brochures à sensation de M. Sims ou du révérend Mearnes; je les ai copiés, mot pour mot, dans un livre tout récent, dans l’œuvre d’un économiste, M. Arthur Raffalovich, qui consacre sa vie à l’étude de cette question, et qui parcourt le monde pour recueillir, sur les lieux mêmes, les renseignemens qui peuvent l’éclairer[1].

En Allemagne, la situation n’est pas meilleure, mais elle se présente sous un aspect tout particulier. Une promiscuité d’un ordre tout spécial introduit, dans les pauvres familles, une cause de désordre et d’insalubrité de plus. Les ouvriers allemands ont une grande tendance à se loger chez des camarades en ménage, soit à la nuit, soit en permanence. En Silésie, dans la Prusse rhénane, en Westphalie, ces habitudes sont générales. Il n’est pas rare de voir les sous-locataires coucher dans la même pièce que la famille qui les loge, même lorsque celle-ci compte de grandes filles au nombre de ses enfans. Parfois, la pièce unique ne contient qu’un lit pour le mari, la femme, les enfans et le pensionnaire. L’Allemagne, dit M. George Picot, est le seul pays où la statistique officielle, relevant le nombre et la situation des logemens d’ouvriers, ait été obligée de faire une place aux demi-lits. Dans son livre sur les Classes ouvrières en Europe, M. René Lavollée parle avec horreur des garnis infects où les lits sont occupés par deux hommes à la fois.

C’est en Prusse que le mal est le plus aigu, et c’est à Berlin que

  1. Le Logement de l’Ouvrier et du pauvre, par M. Arthur Raffalovich. Paris, 887.