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alors de s’acquérir l’amitié de Lesdiguières; il lui envoya un de ses secrétaires, et chercha à lui persuader de rechercher son avantage dans les divisions de la France et de s’entendre avec lui. Lesdiguières ne se laissa pas ébranler. Il demeura toute sa vie, aux époques les plus troublées de sa longue carrière, un serviteur obstiné de la France. La mort du roi Henri III creusa plus profondément l’abîme entre les partis qui étaient en lutte. Ornano[1], lieutenant-général en Dauphiné, qui voyait que la querelle religieuse devenait une querelle d’état, fit sa ligue avec Lesdiguières, qui, jusque-là, avait été son ennemi ; ils se promirent de s’entre-secourir l’un l’autre contre ceux qui contestaient les droits à la couronne du roi de Navarre, légitime successeur d’Henri III. Du même coup, Lesdiguières fit la paix avec la ville de Gap, faisant comprendre aux habitans que la guerre de religion avait cessé ; il descendit de Puymore et fit son entrée dans la ville.

Grenoble était tenu par d’Albigny, qui y commandait pour la ligue, s’y était rendu tout-puissant et en avait fait chasser Ornano. Lesdiguières essaya d’abord de négocier avec d’Albigny, et alla jusqu’à lui offrir la main de sa fille contre Grenoble. Ses avances repoussées, il ouvrit les hostilités, s’empara de quelques petits forts autour de la ville et en commença l’investissement. Le parlement, désireux de la paix, lui fit alors des ouvertures ; mais les négociations furent traversées par d’Albigny et par l’archevêque d’Embrun, soutenus par le duc de Savoie. Lesdiguières fut même obligé d’interrompre le siège et d’accorder une suspension d’armes à la ville. Il joignit d’abord ses forces à celles de La Valette, et, en moins de six semaines, reprit sur les ligueurs nombre de petites places en Provence ; puis, revenant en Dauphiné, il tourna ses armes contre le duc de Savoie en même temps que contre la ligue ; il réduisit la ville et le château de Briançon, et s’assura ainsi de l’ancien passage des armées françaises allant en Italie. Il réduisit également le fort d’Exilles, près des sources de la Doire, et se donna ainsi une clé du Piémont. Rappelé un moment en Provence par La Valette au secours de Saint-Maximin assiégé par les ligueurs, assistés par le comte de Martinengo, il revient à temps pour infliger une défaite aux troupes du duc. Il écrit au roi : « Avecq si peu que j’ay qui n’est pas quatre cens chevaulx et deux mil hommes de pied, je ne puis faire aultre chose que le fascher sur la frontière et rompre ses entreprises. » Charles-Emmanuel avait perdu son temps avec Lesdiguières ; il avait en vain offert de nouer avec lui des liens de parenté en mariant la fille de Lesdiguières (pourvu qu’elle se fît

  1. Le colonel Alphonse Ornano, colonel des Corses, lieutenant-général en Dauphiné.