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l’aumône faite par ce jeune homme à ce vieillard étranger ; puis la reconnaissance de ce jeune homme et de sa nourrice, par le moyen d’une chanson qui réveille les souvenirs de son enfance, — n’est-ce pas les mœurs d’une humanité primitive, exposées avec une candeur parfaite, et n’est-ce pas ce qui nous plaît dans ce poème en prose? Doucement surpris, devant ce premier acte et ce quatrième, nous murmurons : « Cela ressemble au théâtre antique. » En effet, la plus belle scène est une agnition, comme disait Corneille lorsqu’il traduisait Aristote en latin ou presque, pour l’usage des Français ; et Mlle Antonia Laurent la joue avec la même grandeur et la même naïveté que si elle sortait du bureau de nourrices tenu par Eschyle, Sophocle et Euripide. Un souffle qui vient de Grèce, ou d’aussi loin, nous rafraîchit, échauffés que nous sommes au feu de la cuisine des vaudevillistes.

Si l’on retrouvait demain une pièce du répertoire commun de Sem, de Cham et de Japhet, un mystère joué dans l’Arche pour fêter la première baisse des eaux, et si M. Porel nous en donnait une adaptation, il faudrait l’en remercier. Quelques parties sembleraient-elles barbares plutôt que bibliques? On pardonnerait à l’auteur. De même, si le deuxième acte et le cinquième de la Marchande de sourires, par l’accumulation et la violence des événemens, ont quelque chose d’un mélodrame enfantin plutôt que d’une tragédie ingénue (le troisième n’est qu’une idylle), on excuse le Chinois qui les fabriqua sous la dynastie des Youên, au XIIIe ou au XIVe siècle, on excuse Mme Judith Gautier qui les importa chez nous, en passant par le Japon : les primitifs ne sont pas parfaits!.. Euripide, Sophocle, Eschyle même, est-il besoin de le dire? ne sont pas des primitifs, mais de vieux classiques : leurs ouvrages sont des fruits mûrs. Que voulez-vous ! un fruit à moitié vert, à moitié mûr, n’est déjà pas si mauvais : il paraît bon à des amateurs qui n’ont trop souvent que des fruits gâtés. Voilà comment la Marchande de sourires a réussi; les costumes et les décors japonais, tout merveilleux qu’ils soient, n’auraient pas suffi à charmer notre attention pendant trois heures. Voilà comment, bien que le cœur humain soit le même dans l’extrême Orient et en Occident (un joli prologue, en vers, de M. Armand Silvestre, nous en avait avertis), ce drame nous a semblé nouveau : il est nouveau comme l’antique!

Mais le véritable neuf, qui nous le donnera? Ce n’est pas encore M. Zola lui-même, assisté de M. Busnach : au moins, n’est-ce pas Germinal, représenté au Châtelet, que nous pouvons accepter comme l’œuvre attendue. Si l’on voulait transporter au théâtre cette histoire d’une grève, cette épopée où s’épanchent largement la désolation et la pitié, savez-vous ce qu’il en fallait faire? Une symphonie avec chœurs. La musique mieux que les décors nous aurait redit la tristesse du pays de la houille, l’horreur de la mine, et surtout l’épouvantable cataclysme où s’abîment à la fin la terre et les hommes ; l’écroulement des charpentes,