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manifestes. Enfin, les bureaux de statistique officielle, qui savent tout prouver avec des chiffres, se sont chargés de démontrer que les dernières élections municipales sont tout ce qu’il y a de plus favorable à la république et aux républicains. Tout est donc pour le mieux dans ces courtes vacances parlementaires qui finissent aujourd’hui. Tout est en bonne voie, à ce qu’on dit. Malheureusement, les mots et les discours ne signifient rien. M. le président du conseil a dit ce qu’il a voulu sur les idoles éphémères, en assaisonnant son langage de galanteries pour les brillantes Parisiennes qu’il voyait autour de lui dans la vieille Bastille restaurée. M. le ministre Viette s’est trop figuré que, puisqu’il était en Gascogne, il pouvait payer les Gascons en gasconnades radicales et ministérielles. M. Brisson a parlé pour ne rien dire. Les polémiques de journaux font plus d’obscurité que de lumière. Les élections municipales, vues de près, loin de prouver ce qu’on prétend, prouveraient plutôt le contraire. Le voyage même de M. le président de la république dans le Midi s’est terminé heureusement, honorablement pour lui, mais sans avoir d’autres conséquences, — Et après comme avant il n’en est ni plus ni moins, rien n’est changé. Ce qui reste le plus évident, c’est que les choses suivent leur train, et qu’on en est toujours à cette situation où l’on se débat sans savoir comment on en sortira, où il a suffi de l’apparition d’un homme remuant et entreprenant pour confondre tous les calculs, pour mettre en échec tous les partis, le gouvernement, le parlement, les institutions elles-mêmes.

Ce n’est point, si l’on veut, que le danger soit immédiat, que cette crise si bizarre, qui résume pour le moment les affaires intérieures de la France, puisse se dénouer brusquement, prochainement, du soir au lendemain. Par une fortune singulière, sauf l’imprévu, rien ne peut marcher si vite; c’est une crise sans issue saisissable et prochaine. M. le général Boulanger a beau se mettre perpétuellement en scène, entretenir et réchauffer sa popularité par tous les artifices, couper tous les jours la queue de son chien pour les badauds; il a beau aller dans le Nord, à Dunkerque, à Douai, à Lille, chercher des ovations, prononcer des discours, exposer des programmes, — il ne peut rien contre les pouvoirs publics. Le voulût-il, il ne dispose d’aucun moyen d’action, d’aucune force régulière ou irrégulière. Il est condamné à s’agiter assez longtemps dans le vide, ne pouvant compter ni sur un appoint dans le parlement, ni sur une escouade d’une armée silencieuse et fidèle, ni sur la sédition, qui ne le suivrait pas à Paris. Les pouvoirs publics, à leur tour, il faut l’avouer, ne peuvent rien non plus contre le député du Nord, parce qu’il a derrière lui ses électeurs, ce mouvement d’opinion plus ou moins vague, plus ou moins sérieux, plus ou moins durable, dont il s’est fait le chef. Ils ne peuvent que se retrancher dans les institutions, dans la loi, et s’y défendre, — si toutefois ils sont soutenus jusqu’au bout par le ministère lui-même, qui les a déjà à demi