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esprit de conciliation, laissent les opportunistes à leurs œuvres et à leur fortune douteuse. Les opportunistes ont le malheur de vouloir et de ne pas vouloir. Ils sentent que rien n’est possible sans l’appui des forces conservatrices, ils craignent en même temps d’être suspects de « modérantisme,» et, après avoir été les premiers à menacer le ministère Floquet, ils finissent par se tourner vers lui. Ils y vont timidement, avec quelques façons, mais ils y vont. Ils subiront la concentration républicaine qui se fait contre eux, et à la faveur de laquelle les modérés auront la chance de voter encore une fois pour M. Basly et M. Camélinat. « La concentration républicaine n’est plus un rêve, » a dit M. le ministre Viette à Auch.

C’est à merveille ! Le nouveau président du conseil garde jusqu’ici l’avantage, et qu’est-ce que M. Floquet au pouvoir? C’est le radicalisme ébranlant la constitution par la révision avec M. Boulanger, menaçant le sénat, que les opportunistes représentent comme la citadelle de la république, préparant la séparation de l’église et de l’état, qui ne peut qu’envenimer les luttes religieuses, protégeant toutes les expériences désorganisatrices et socialistes. Et si l’on pouvait se méprendre sur ce que veut, sur ce que fera M. Floquet au gouvernement, on n’a qu’à voir déjà sa conduite, ses procédés avec le conseil municipal de Paris. Il y a quelque temps, sous un autre ministère, le conseil municipal, dans son omnipotence, a eu la fantaisie de changer toutes les règles des adjudications publiques, d’imposer de nouvelles conditions de travail, de salaire, aussi contraires aux lois économiques qu’aux intérêts de la ville. La délibération de l’Hôtel de Ville a été annulée, et le conseil d’état, appelé à se prononcer, a sanctionné par un arrêt énergique le décret d’annulation. Qu’à cela ne tienne ! Depuis l’arrivée de M. Floquet au pouvoir, tout est changé; M. le préfet de la Seine et M. le directeur des travaux publics tiennent un autre langage : — Le conseil municipal triomphe ! Il n’y a que quelques jours, une grève pénible s’est déclarée à Paris et autour de Paris dans l’industrie de la verrerie. Entre les maîtres verriers et les ouvriers, la lutte est engagée, et la question est ici d’autant plus grave qu’il ne s’agit plus d’un débat sur les salaires : c’est la guerre ouverte, avouée, des chambres syndicales contre le capital, contre le patronat, contre la liberté du chef d’industrie. Le conseil municipal, bien entendu, s’est hâté de prendre parti en votant un subside pour les grévistes, sans en avoir le droit. Rien n’est encore décidé; M. le président du conseil cherche visiblement un moyen de satisfaire la fantaisie de l’Hôtel de Ville. C’est la concentration radicale qui est à l’œuvre : elle n’est pas au bout! Comment les chambres qui se réunissent aujourd’hui jugeront-elles cette politique? Il se peut que M. Floquet trouve encore dans le désarroi parlementaire une majorité; mais s’il y a une chose évidente, claire comme le jour, c’est que chaque pas fait dans cette voie est un pas de plus vers la dictature.