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une proportion considérable : il fut quintuplé en France de 1500 à 1600. Le prix de l’hectolitre de blé, qui était, en 1500, un poids d’argent égal à 2 fr. 83, tendit, vers la fin du siècle, à se fixer autour de 14 ou 15 francs. Mais la multiplication des métaux qui représentaient la richesse encouragea les échanges, à la même date où de grands changemens de toute sorte favorisaient, chez les peuples actifs de l’Occident, la mise en valeur des ressources nouvelles. En France, la chute de la féodalité permettait à un gouvernement régulier d’assurer, même à travers les guerres religieuses, la sécurité du travail dans les campagnes ; et les guerres d’Italie ouvraient des relations commerciales dont l’activité intelligente de la renaissance allait tirer profit.

Les mêmes lois économiques trouvent leur application dans l’histoire de la république romaine au milieu du me siècle avant l’ère chrétienne, au temps de la lutte contre Carthage. Rome, quand elle reçoit, à la suite des premières victoires, les instrumens de la richesse, est une cité laborieuse, dont la population n’a pas commencé de prendre goût aux largesses des ambitieux politiques ni aux dépouilles des vaincus. Les élémens que la victoire apporte s’y répandent sur un fonds capable de les féconder : ce fonds, c’est le génie d’un peuple jeune encore, et qui, longtemps contenu, veut se déployer et vivre.

Rome a été le théâtre, vers l’an 240 avant l’ère chrétienne, d’une révolution considérable, aux aspects divers, mais surtout économique, et cette révolution doit occuper, dans l’explication de ses destinées, une large place. L’auteur de l’Histoire des chevaliers a eu le mérite d’en rassembler, d’en interpréter les témoignages, et de la retracer en vive lumière.

L’occasion en a été, disions-nous, la conquête, qui a mis en un contact subit avec l’extrême civilisation du monde grec et oriental cette cité romaine, non point barbare et inculte, comme quelques-uns l’imaginent, mais forte dès ses commencemens, soit d’une originalité propre, soit du secours des civilisations qui enveloppaient son berceau. — La formule d’Emile Belot sur Rome primitive peut étonner tout d’abord : il y voit, non pas un ramas d’aventuriers et de malviventi, ni un mélange accidentel d’élémens hétérogènes, mais « une race noble et pure, vouée au culte saint de Vesta, un peuple unique et déjà civilisé. » N’est-ce pas, bien peu s’en faut, le langage de Cicéron quand, au second livre de son traité de la République, il place sur les lèvres de Scipion une rapide esquisse des premiers siècles ? Romulus vivait, lui fait-il dire, à une époque où, depuis longtemps, la Grèce retentissait de chants et de poésie, dans un âge et dans une cité qui avaient tout un héritage de culture, jam