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fournitures ou des travaux devenus indispensables. Le sénat leur allouait un certain crédit sur le trésor ; ils préparaient les devis et rédigeaient pour chaque cas le cahier des charges, lex censoria. L’adjudication devait se faire publiquement, en plein forum, au jour fixé d’avance et aux enchères les plus basses. On procédait de la même façon pour la perception des revenus publics, impôts, douanes, péages, pour l’exploitation des mines et carrières de l’état, pour la location des terres et pâturages publics. Ces perceptions étaient publiquement affermées par les censeurs, aux plus offrans. Les adjudicataires savaient fort bien, s’ils craignaient, une fois le marché conclu, d’être en perte, présenter leurs doléances, les faire écouter et obtenir résiliation ou indemnité. Tite-Live en cite plusieurs exemples. Il est clair que des fortunes isolées devaient rarement suffire à ces sortes d’engagemens, toujours considérables, et l’état exigeant d’ailleurs des garanties. Les capitalistes formaient donc entre eux des sociétés par actions, avec des directeurs, des bureaux, des employés, quelquefois avec des sous-adjudicataires, qu’il fallait surveiller et contrôler de près. Ajoutez un monde d’affranchis et d’esclaves pour les exploitations industrielles ou agricoles, et cette multitude dispersée dans toutes les provinces, à mesure que la conquête se propageait au loin. Naturellement la banque, le calcul des intérêts de l’argent, et aussi l’usure, tout cela fort connu à Rome dès les temps primitifs, venaient se mêler, pour l’animer et le féconder, pour le conduire aussi vers l’abus et l’excès, au mouvement d’affaires né de l’essor général.

Quand les armes romaines eurent pénétré dans l’opulente Asie, de nouvelles et abondantes sources de revenus s’offrirent. L’ardeur des traitans redoubla, les compagnies financières s’accrurent singulièrement en puissance et en nombre, et le vaste marché, comprenant une partie de l’Europe avec une partie de l’Orient, devint, par les vicissitudes du crédit, une arène ouverte, soit à la formation d’énormes fortunes privées, soit à la solidarité d’innombrables intérêts financiers. Il faut, pour juger de cette entière diffusion, se transporter par la pensée au temps de Cicéron, par exemple. Si l’on veut comprendre ce que devait être alors la bourse de Rome, inquiète des nouvelles d’Orient, anxieuse des événemens politiques, fiévreuse à la pensée d’une hausse subite des actions, ou bien à celle d’imminens désastres pouvant atteindre beaucoup de fortunes médiocres, on n’a qu’à relire le pro lege Manilia. Cicéron y demande instamment qu’on nomme Pompée au commandement suprême, parce que c’est le seul moyen, déclare-t-il, d’éviter un Krach semblable à celui qui a éclaté au début de cette guerre. Deux