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cour de diplomates de tous les pays, empressés à interroger ses pensées les plus secrètes. L’empereur Nicolas lui-même, arrivant en Bohême, lui disait galamment : « Je viens ici pour me mettre sous les ordres de mon chef ; je compte sur vous pour me faire signe si je commets des fautes… » Au besoin, le tsar ajoutait : « Conservez-vous, vous êtes notre clé de voûte ! » M. de Metternich ne disait pas le contraire. Après vingt-cinq années de pouvoir, il se revoyait avec la même influence, avec une importance qui allait grandir encore, s’il est possible, par un événement survenu dans l’intervalle, entre Munchengrætz et Teplitz, — la mort de l’empereur François. Le chancelier était tout déjà sous un prince simple, laborieux, sensé, qui avait, aux yeux de l’Autriche, le prestige des revers subis avec constance et glorieusement réparés, d’une fortune portée avec modestie dans un règne de près d’un demi-siècle ; il était bien plus nécessaire encore sous le successeur, l’empereur Ferdinand, prince bien intentionné, mais étroit, médiocre, ignorant de tout. Le chancelier se sentait flatté, presque exalté dans son orgueil de la facilité qui avait marqué le changement de règne et qu’il s’attribuait à lui-même. « Ici, écrivait-il à un de ses ambassadeurs, les choses vont comme si rien n’était arrivé… L’art a consisté à ne point être pris au dépourvu… J’ai beaucoup fait et j’ai bien fait, je ne demande plus rien aux hommes… Quant à l’avenir, arrêtez-vous à ceci, qu’il est bien plus facile de maintenir dans les bonnes voies ce qui y est placé qu’il ne l’est d’y faire rentrer ce qui n’y est plus… J’admets que l’empereur Ferdinand ait besoin d’être guidé ; je n’admets pas qu’il soit facile de le faire sortir de la voie toute tracée… » Plus que jamais, le chancelier de cour et d’état se sentait dans l’éclat de son ascendant, maître de l’Autriche, gouvernant encore l’Allemagne, contenant l’Italie, surveillant partout la révolution, maniant avec dextérité les affaires de l’Europe.

Il avait alors pour compagne ou pour complice dans son grand rôle la nouvelle princesse de Metternich, sa troisième femme. Sa première femme, de la famille des Kaunitz, était venue mourir à Paris, en 1825, après une longue union. La seconde, Antoinette de Leykam, faite pour la circonstance comtesse de Beilstein par l’empereur, lui avait été brusquement enlevée après moins de deux ans de mariage. Au soir de la vie, avec la facilité d’une nature prompte à se relever des douleurs en apparence les plus inconsolables, il avait épousé en troisièmes noces, — 1831, — la comtesse Mélanie de Zichy-Ferraris : personne d’élite qui portait dans sa maison l’éclat de la jeunesse, un esprit vif, une haute éducation-mondaine, avec l’orgueil de partager une illustre fortune et le goût féminin de la domination. La troisième Mme de Metternich a laissé