Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/568

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

Au fond, M. de Metternich n’était un ennemi que dans ces limites. Il se piquait d’être modéré en toutes choses. Il n’était pas insensible aux énergiques et heureux efforts du gouvernement de Juillet pour se dégager des fatalités de son origine, la révolution et la guerre. Il reconnaissait les progrès que la monarchie nouvelle avait faits en peu de temps, la place qu’elle avait conquise en Europe ; il ne refusait même pas d’avoir des alliances avec elle et de la faire entrer dans ses combinaisons s’il y voyait son intérêt. Il gardait néanmoins toujours ses doutes, et il mettait d’étranges réserves jusque dans les intimités auxquelles il se prêtait. Quand il se tournait vers la France, selon le mot spirituel d’un des ministres du roi Louis-Philippe, il avait l’air d’un homme avançant sa main pour la poser sur un fagot d’épines et la retirant aussitôt. C’est la clé de sa politique et de ses rapports pendant les dix-huit années de règne. Je voudrais serrer de plus près cette politique et ces rapports du chancelier de Vienne avec la monarchie de 1830, avec ceux qui l’ont représentée sur la scène publique.

A dire vrai, M. de Metternich mettait un peu de tout dans sa diplomatie. En homme qui pouvait se vanter d’avoir vu déjà passer « vingt-huit ministres des affaires étrangères en France, » il restait toujours assez sceptique à l’égard des ministres nouveaux. Il les jugeait quelquefois avec finesse, souvent avec une légèreté superbe, comme les représentans éphémères d’un régime, « jouet perpétuel d’intrigues et de passions. » Même avec le plus grand de tous, avec Casimir Perier, dont il avait un moment subi l’ascendant, il ne s’était jamais départi d’une certaine défiance. Il sentait en lui l’homme d’état fait pour le commandement et gêné ou emporté par sa situation. Il le ménageait et il le craignait visiblement, jusqu’au jour où il disait lui aussi : « Qui osera reprendre le rôle de M. Casimir Perier ? » Le duc de Broglie, par sa fierté de grand seigneur libéral, par l’allure de son esprit, avait particulièrement le don de l’irriter ou, si l’on veut, de l’agacer. Il voyait dans le ministre des affaires étrangères du 11 octobre le modèle des doctrinaires, et il accusait les doctrinaires d’être « les hommes les plus habiles à tout perdre et les moins capables de rien sauver… » C’était sa plus vive antipathie ! M. Thiers, dont il ne méconnaissait pas les qualités brillantes, qu’il préférait même aux doctrinaires, lui semblait un parvenu « de trop peu de poids, » dangereux comme président du conseil et ministre des affaires étrangères, supérieur dans le « maniement des partis en France, » peu fait « pour représenter son pays en face de l’Europe. » M. Molé l’attirait par sa