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et l’intelligence du roi. De son côté, le roi n’épargne au prince ni les complimens ni les flatteries… »

L’art de M. de Metternich dans ces relations était, en effet, d’envelopper de banalités de courtisan ses conseils de haute politique et ses théories de contre-révolution, de gagner la confiance de Louis-Philippe en le touchant aux points sensibles. Il était bien sûr de remuer la fibre la plus délicate du roi en l’encourageant dans ses goûts de gouvernement personnel, en le flattant dans ses révoltes contre l’omnipotence parlementaire, en lui suggérant un jour l’idée d’abroger l’anniversaire du 27 juillet 1830, de ne laisser subsister que l’anniversaire du 7 août. « L’un est la mort, disait-il, l’autre est la renaissance… » Il avait surtout l’habileté de faire toujours une distinction entre le souverain et ses conseillers. Il n’était pas le seul : la plupart des représentans étrangers avaient fini par l’imiter en allant droit au roi en dehors des ministres. Plus que tout autre, le chancelier usait de cette tactique. Il ne ménageait ni les récriminations amères ni les boutades aux ministres, à M. de Broglie, à M. Thiers, qu’il accusait de toutes les fautes de la politique française ; au roi seul il attribuait tout ce qui se faisait de bien en France, les résolutions les plus sages, la paix maintenue, l’ordre défendu et rétabli : « La cause que nous désirons servir aujourd’hui, faisait-il dire confidentiellement à Paris, c’est le rétablissement de l’autorité en France, et Louis-Philippe doit à cet égard être de notre avis… » Rien ne pouvait toucher plus intimement un prince jaloux de son autorité. Le roi n’avait pas besoin d’être aiguillonné. Il avait un sentiment si vif de son pouvoir, peut-être de son infaillibilité, que plus tard, lorsqu’il croyait avoir trouvé le vrai ministre de son choix, il finissait par gourmander presque M. de Metternich lui-même pour quelques complimens envoyés à M. Guizot : «… Je suis enchanté, disait-il au comte Apponyi, du suffrage donné par le prince de Metternich à M. Guizot : il est mérité, bien mérité, j’aime à en convenir ; mais il ne faut jamais laisser croire à ces messieurs qu’ils peuvent réussir en quoi que ce soit sans le roi… Je sais bien que M. de Metternich ne veut que ménager M. Guizot, il a raison de le faire ; mais le ministre ne doit jamais oublier qu’il n’est rien sans le roi, qu’il ne peut jamais s’en passer. C’est un avertissement que je veux vous donner, car les intentions du prince de Metternich à mon égard me sont trop connues… »

Ils s’entendaient donc, l’un et l’autre, le roi et le chancelier, sur bien des points de la politique. Il n’y avait pas un événement, pas une question qui ne fût l’occasion d’un échange mystérieux d’explications entre Paris et vienne. Au moment où s’ouvrait la succession d’Espagne, Louis-Philippe, s’il eût suivi son sentiment secret, se serait prononcé pour le principe de l’hérédité salique à Madrid,