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contradictions, aux intrigues, au conflit des candidatures. Qui serait, en définitive, le mari de la reine ?

Tout dépendait moins de ce qui se passerait à Madrid autour d’une jeune souveraine de moins de quinze ans que de ce qui pouvait se passer à Paris et à Londres, de la lutte d’influences engagée entre la France et l’Angleterre. Le roi Louis-Philippe, cela est certain, portait dans cette affaire espagnole une idée fixe, dont il poursuivait la réalisation à travers toutes les intrigues de cour et de chancellerie. Si, par ménagement pour l’Angleterre, pour la paix de l’Europe, il se défendait de rechercher la main d’Isabelle pour un de ses enfans, il prétendait, en revanche, exclure les princes étrangers, circonscrire le choix du mari de la reine dans la descendance de Philippe V, parmi les princes de la maison de Bourbon qui existaient à Naples, à Lucques, à Madrid ou ailleurs. De plus, s’il résistait à toutes les sollicitations espagnoles qui lui demandaient un prince français pour la reine elle-même, il ne s’interdisait pas, dans le secret de sa pensée, de marier un de ses fils, le duc de Montpensier, avec l’infante Louise-Fernande, sœur d’Isabelle II. Marier la reine avec un Bourbon, le duc de Montpensier avec la jeune infante, c’était toute sa politique. L’Angleterre ne se prêtait pas sûrement sans jalousie et sans résistance à ces projets. Elle refusait à un gouvernement étranger le droit de limiter le choix de la reine, d’autant plus qu’elle avait elle-même un prétendant, le prince Léopold de Cobourg, qui eût été son candidat préféré. Un instant, il est vrai, pendant le ministère de Robert Peel et de lord Aberdeen, à l’époque des voyages de la reine Victoria à Eu, de Louis-Philippe à Windsor, on avait paru se rapprocher et s’entendre ; on s’était loyalement expliqué. Le roi avait réussi ou croyait avoir réussi à persuader la reine Victoria et lord Aberdeen, à faire accepter par le cabinet anglais son principe de la descendance de Philippe V. En s’engageant à décliner pour un de ses fils la main de la reine, à ajourner, s’il le fallait, le mariage du duc de Montpensier, il se flattait même d’avoir obtenu de l’Angleterre qu’elle ne soutiendrait pas un prince étranger. Il le croyait parce qu’il le désirait. On en était encore là lorsqu’une crise parlementaire décidait, en 1846, la chute du ministère Peel-Aberdeen, la réapparition de lord Palmerston au foreign office, et le premier soin du successeur de lord Aberdeen était de reprendre la guerre contre l’influence française à Madrid, de faire revivre notamment la candidature du prince Léopold de Cobourg.

Dès lors, tout se précipitait. Aux premiers signes de l’activité remuante de lord Palmerston, le gouvernement français, se croyant trompé ou menacé, craignant quelque surprise à la façon de 1840, n’hésitait plus à brusquer le dénoûment à Madrid. En peu de jours, servi par un ambassadeur hardi, M. Bresson, il avait enlevé le double