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domination. Les révolutions de 1848 contenaient tout cela en germe, et, par une étrange combinaison, avant que quinze ans fussent passés, devait apparaître, non plus à Vienne, mais à Berlin, un autre chancelier reprenant pour la Prusse le rôle que M. de Metternich avait eu si longtemps pour l’Autriche. Le dernier venu, le chancelier de Berlin, éclipse, si l’on veut, le chancelier de Vienne ; il l’éclipse en le continuant dans des conditions nouvelles, — à la prussienne ! Aux deux extrémités du siècle, ces deux hommes, aux physionomies et aux génies si divers, résument deux phases de l’histoire, l’une qui n’est plus déjà que du passé, l’autre qui n’est encore que le présent gardé par la force.


De quelque façon qu’on juge la marche des choses, M. de Metternich est resté et reste sans aucun doute une des plus curieuses figures de la période historique où il a vécu, où il a grandi et régné. Né quinze ans avant les orages qui allaient remuer le monde, formé à l’école de Kaunitz, engagé dès sa jeunesse, dès le congrès de Rastadt et sa première mission diplomatique, dans toutes les mêlées, ce fils de l’aristocratie viennoise et du XVIIIe siècle a eu une carrière assez longue pour Voir les régimes se succéder, l’Europe changer de face. Il a traité tour à tour, comme ambassadeur ou comme chancelier, avec Napoléon et Talleyrand, avec Alexandre Ier de Russie et Capo d’Istria ou Nesselrode, avec lord Castlereagh et le duc de Wellington, avec la restauration française et le duc de Richelieu, M. de Villèle, M. de La Ferronays, avec la monarchie de Juillet et M. Casimir Perier, M. Guizot, le roi Louis-Philippe. Il a traversé toutes les crises en homme habile, en homme heureux, portant dans les affaires du temps ce mélange de supériorité réelle et d’artifice, de fixité apparente et de souplesse, de dogmatisme et de fatuité mondaine, qui a fait son originalité. M. de Metternich n’est pas un politique à grandes vues et à résolutions hardies ; ce n’est pas non plus un politique d’entraînement à la façon d’un Stein et des patriotes allemands : c’est un politique de la vieille Autriche et de l’ancien régime. Son génie est dans l’art des combinaisons, dans le maniement patient des hommes et des intérêts. Il s’est toujours flatté d’avoir été le vrai vainqueur de Napoléon au moment décisif de 1813 ; il avait su tout simplement se mettre à propos avec la force des choses sous laquelle pliait son terrible interlocuteur de Dresde, et par sa dextérité d’évolution, par son habileté à saisir l’occasion, il se trouvait le lendemain être des premiers parmi les victorieux de la coalition, — le plus expert peut-être à profiter de la victoire.

Le vrai règne de M. de Metternich date surtout de ce moment du congrès de Vienne où se partagent les grandes dépouilles, où est