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en ce sens qu’ils contribuent également au despotisme ; car ce despotisme de tous, c’est sur chacun qu’il retombe, et le dernier terme, c’est que tous soient égaux dans la servitude. La démocratie n’est pas la liberté, c’est la vulgarisation de l’absolutisme.

Lui parlerez-vous de la loi ? C’est ici qu’il est original et tout à fait nouveau. Il ne vous dira point, comme certains : « Cela dépend de qui l’a fait. » Il vous dira : Quel que soit celui qui fait la loi, la pire erreur en politique, c’est l’idée de la souveraineté de la loi. Ce n’est pas définir la liberté que de parler d’un état où personne n’est sujet que de la loi et où la loi est plus puissante que tous les hommes. Il y a des lois oppressives, des lois tyranniques, des lois auxquelles on ne doit pas obéir. Lesquelles ? Celles qui diminuent la personne humaine, celles qui touchent au fond même de l’homme, celles qui lui demandent d’abdiquer. Lesquelles encore ? Celles qui empiètent non pas même sur sa pensée, ses croyances, sa personne morale, mais seulement qui empiètent sur ses forces personnelles, activité, santé, propriété, plus qu’il n’est strictement besoin pour le maintien de l’état ; celles qui lui demandent une mise à la masse commune plus forte qu’il n’est nécessaire pour que la communauté subsiste. Celles-ci même, si elles ne sont pas iniques, sont injustes en ce sens qu’elles sont capricieuses et arbitraires. En ces cas, la loi est un despote ; elle agit comme un roi qui a ses humeurs, ses fantaisies, ses goûts personnels, et le goût surtout d’empiéter, de conquérir et d’absorber, et elle doit être traitée comme le serait un souverain absolu : la révolte est juste contre elle. La souveraineté de la loi est un despotisme impersonnel.

Voilà le libéralisme absolu. Il revient à déclarer qu’il n’y a pas de souveraineté. Jusqu’à Constant, tous les publicistes ont cherché où était le souverain ; Constant professe qu’il n’y en a pas. Je ne le trahis point ; je n’exagère point ses conclusions ; ceci est de lui : « Il y a une partie de la personne humaine qui de nécessité reste individuelle et indépendante… Quand elle franchit cette ligne, la société est usurpatrice, la majorité est factieuse… Lorsque l’autorité commet de pareils actes, il importe peu de quelle source elle se dit émanée, qu’elle se nomme individu ou nation ; elle serait la nation entière, moins le citoyen qu’elle opprime, qu’elle n’en serait pas plus légitime. » Qu’est-ce à dire ? C’est que l’homme a un droit personnel absolument inviolable et absolument imprescriptible, que rien ne dépasse, que rien ne fait fléchir, dont lui-même ne dispose pas. Ce n’est pas autre chose que le droit divin de l’homme. Quoi qu’on fasse, on en arrive toujours à mettre la souveraineté quelque part. Les patriotes la mettent, soit dans un roi ramassant en lui la nation, soit dans la nation elle-même ; les esprits abstraits la mettent