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constituent ; qu’il faut enfin faire la psychologie et l’histoire du sentiment religieux.

Très nourri de Greuzer, mais sagement défiant à l’endroit du système symbolique poussé à l’extrême, il prendrait volontiers pour épigraphe non pas tout à fait la définition du penseur allemand : « La mythologie est la science qui nous apprend comment la langue universelle de la nature s’exprime par tels ou tels symboles, » mais plutôt cette même formule corrigée par Hermann : « La mythologie est la science qui nous fait connaître quelles notions et quelles idées tel ou tel peuple conçoit et représente par tels ou tels symboles, images ou fables. » Histoire psychologique et éthique du sentiment religieux parmi les hommes dont la trace est venue jusqu’à nous ; voilà certainement le titre qui était dans l’esprit de Constant quand, de Weimar à Coppet, il roulait son projet dans sa tête et s’en ouvrait à Wieland ou à Bonstetten. Il en est resté quelque chose dans le livre, écrit trop lentement, parmi trop d’interruptions et de traverses, et trop tard. Et, d’abord, cette idée que la religion est au fond de notre être comme un élément constitutif, que l’homme est un animal religieux, comme il est un animal social, et comme il est un animal « à la voix articulée. » Origine de la société, origine du langage, origine de la religion, on a tour à tour recherché tout cela. « L’erreur est la même dans toutes ces recherches. On a commencé par supposer que l’homme avait existé sans société, sans langage, sans religion… » Et cette supposition est toute gratuite. Tout porte à croire que ce n’est pas de l’absence de religion qu’il faut partir pour se demander ensuite comment les hommes s’en sont fait une ; mais d’un sentiment religieux élémentaire, pour en suivre, après, le développement à travers les âges. Société, langage, religion, ce sont trois conditions nécessaires de l’être humain. Le sentiment religieux est « intime et nécessaire comme celui de la conservation. » (Et peut-être pourrait-on prouver que le sentiment religieux est le sentiment de conservation, prolongé, en quelque sorte ; comme l’instinct social est le sentiment de conservation devenu solidaire ; comme le langage est l’instinct de conservation, trouvant un cri pour faire appel à un secours…) Nous sommes ici au fond même de l’homme, à l’intime et primitive connexité, unité pour mieux dire, d’instincts constitutifs de notre nature, que, depuis, l’analyse philosophique et l’abstraction ont maladroitement séparés. Cette idée du rapport étroit entre l’instinct social et l’instinct religieux, qui, dans un livre récent, était si brillamment reprise et développée, elle est dans Constant, et il est à regretter qu’il l’ait conçue assez pleinement pour l’exprimer dans toute sa force, non assez pour en tirer tout ce qu’elle contient.

C’est encore un aperçu bien original que cette remarque, sur la