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mères, l’instinct de la simplicité et de la vie ; c’est pourquoi elles font si grande fête aux peintres et c’est pourquoi elles ne veulent point désespérer d’eux. Que faudrait-il donc à la plupart de ces peintres si bien doués pour aboutir plus souvent qu’ils ne font, et pour déterminer, par quelques chefs-d’œuvre imposans, des groupemens décisifs dans cette bande ahurie ? Ce qui manque le plus à tout le monde de notre temps : la suite dans les idées, la volonté. Dans l’art comme dans le monde, un homme ne vaut et ne réussit que par le caractère ; ici comme là, l’opiniâtreté dans la recherche, la constance dans la conviction, mènent quelquefois au but plus vite et plus sûrement que la richesse du tempérament et que la souplesse du talent. Nous ne tarderons pas à en trouver les preuves.


I

Le goût du public et, par conséquent, celui des peintres, s’éloigne de plus en plus, on le sait, des sujets d’imagination pour s’en tenir aux sujets réels. L’affaiblissement des traditions religieuses et l’abaissement des études philosophiques, la décadence de la culture classique, le développement des curiosités matérielles, l’extension de la presse cancanière et du roman à scandales, les exigences croissantes de la lutte pour la vie, la suppression presque absolue dans la plupart des existences du loisir et de la méditation, sont autant de causes qui arrêtent le développement des facultés imaginatives chez les producteurs comme chez les amateurs. Il n’en est pas moins vrai que c’est toujours l’imagination, c’est-à-dire la force personnelle d’interprétation et de transformation qui marque le rang de l’artiste, même le plus soumis en apparence à la réalité. Le paradoxe de l’artiste-machine reproduisant, avec une impartialité mécanique, le spectacle incohérent des choses, apparaît de plus en plus comme une sottise formidable, à mesure qu’on peut mieux compter le nombre de ses victimes. Résultat bien fâcheux à constater pour ceux qui font de l’ignorance une condition du génie, et de l’irréflexion une condition de la sincérité, mais fait qui saute aux yeux, fait patent, fait irréfutable ! Dans les genres les plus positifs, dans le portrait, dans le paysage, dans la scène de mœurs contemporaines, les chefs et les maîtres restent toujours, malgré tout, ceux qui font preuve de la vision la plus personnelle, ceux qui imposent le plus puissamment à la réalité la domination de leur imagination particulière, ceux qui expriment d’autant mieux certaines qualités de la nature et de la vie qu’ils insistent sur ces qualités avec l’exagération de leur propre passion.

De tous les genres de peinture, le portrait, si essentiellement