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grand temps d’aviser. Que devient la peinture encore dans le tableau où M. Brouillet a repris, à la façon naturaliste, ce sujet de l’Amour aux champs, que Bastien-Lepage, dans les mêmes dimensions, avait traité à la façon sentimentale ? Formes et couleurs, tout est mangé par la lumière environnante, qui n’est même pas une lumière des champs, mais une lumière d’atelier. En réalité, on en revient, par d’autres chemins, à la peinture creuse et vide, à la peinture jaune et fade de la mauvaise école de la restauration. Notez que M. Brouillet, comme M. Friant, est un dessinateur attentif, curieux, délicat, comme le montre son Portrait de Mlle Darlaud ; c’est pour cela que leur sort nous intéresse. Comme une bonne tournée chez des maîtres sains, vigoureux, résolus, de belle humeur, leur ferait du bien, à eux et à bien d’autres ! Titien, Rubens, Hals, Velasquez, venez à notre secours ! La peinture se meurt, la peinture va mourir.

Parmi les portraits un peu trop chargés d’accessoires, on a remarqué, comme l’un des mieux réussis, celui d’Un Graveur penché sur sa plaque et travaillant sous un châssis, par M. Mathey. La tête, en effet, est excellente, mais toute la partie inférieure du corps est beaucoup trop négligée ; là aussi quelque simplification n’eût pas nui. M. Aviat a été plus réservé en montrant M. Roll sa palette à la main, et cette réserve lui a porté bonheur. Un grand nombre de portraits à l’allure plus simple témoignent de recherches non moins heureuses. Il y a quelque part une jeune femme à mi-corps, en corsage rouge, un peu perdue dans la brume, avec certaines notes d’une distinction charmante, par M. A. Berton, des masques bourgeois, opiniâtrement fouillés par M. Maurin, dans la manière tranchante et sèche de ce pauvre Gaillard, de singuliers trompe-l’œil de visages minutieusement ridés, à la Denner, par M. Crochepierre. Chacun cherche son idéal où son tempérament le pousse. Il n’y a rien à dire de nouveau sur les œuvres d’un certain nombre d’artistes plus connus et dont on connaît déjà la manière, MM. Courtois, Morot, Paul Ferrier, Cormon, Giron, Giacomotti, Desboutin, Édouard Fournier, ont envoyé au Salon des ouvrages intéressans dans lesquels on retrouve leurs qualités ordinaires. Les dames et demoiselles ne sont pas les moins habiles dans cet art du portrait, qui convient si bien à leurs habitudes d’analyse et de pénétration. Il est même parmi elles beaucoup de femmes qui sont hommes pour la précision de l’observation et pour la franchise de l’exécution ; les portraits exposés par Mmes Guyon, Bilinska, Rœderstein, Mégret, Beaufy-Saurel, Houssay et quelques autres, ne sont pas les moins bien compris ni les moins bien peints du Salon.