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c’est dans leur commerce qu’il a appris, non sans luttes et sans peine, à proportionner la vigueur du rendu à la dimension des figures. Jusqu’à présent, ce qui manquait d’ordinaire à ses personnages, c’était une forme nette et solide, cette forte armature intérieure qu’on sent même chez les personnages les plus disloqués, ou les plus chiffonnés de Rubens et de Hals. Les études préparatoires de dessin n’ont pas été, chez l’artiste, en rapport avec ses instincts de force et de grandeur. Depuis quelques années, il a abandonné l’atelier pour les champs, et ce séjour à l’air lui a porté bonheur. Sa palette, encombrée de couleurs sombres, s’est clarifiée et allégée ; ses yeux sont devenus extrêmement sensibles à toutes les délicatesses des colorations en mouvement et à toutes les transparences de l’atmosphère. L’étude qu’il appelle Manda Lamétrie, fermière, est un morceau excellent. Cette Manda est une simple villageoise, minois chiffonné, nez retroussé, yeux en vrille, cheveux frisottans sous son petit bonnet, un laideron de l’avenir, mais, dans le présent, une beauté du diable. En déshabillé du matin, corset de coutil gris, chemise de toile, jupon court grisâtre, elle s’avance, de face, sous les arbres du verger, portant de la main droite un seau de fer-blanc rempli du fait que vient de lui donner une bonne vache placée en travers derrière son dos. Cette jeune fermière, clignotant des yeux sous la lumière, avec ses bras maigres et ses mains rouges, est bien toute à sa besogne ; elle est paysanne, elle est simple, elle est naïve, et le peintre l’a vue avec simplicité et naïveté. Cette simplicité est la vraie force de M. Roll ; c’est ce qui le rend supérieur à la plupart de ses confrères. Qu’est-ce qui l’a frappé dans cette scène champêtre ? La fraîcheur de la nature jointe à la fraîcheur de la fille. Pour rendre cette impression, il a donc fait jouer sur le visage, dans la chevelure, sur la chemise, sur le corset, sur le jupon, sur le seau, sur le lait, sur les bras, sur les jambes, toute une série exquise de gris et de blancs d’un ton délicat vraiment matinal et printanier. Voilà bien de la peinture, de l’excellente peinture ! Lorsqu’on a subi ce charme pénétrant, on ne pense point trop à adresser à M. Roll quelques questions indiscrètes, celle, par exemple, de savoir s’il n’y a pas, même à cette heure indécise, quelques ombres portées par les arbres et les figures. En somme, l’effet est produit, un effet vif, charmant, nouveau, peu importe au prix de quels sacrifices ; l’art, en réalité, ne vit que de sacrifices ou d’exagérations, même pour exprimer le naturel et la simplicité. Une autre étude de M. Roll, représentant un petit garçon habillé de velours, en toque noire, monté sur un poney gris pommelé qu’il pousse au trot, en criant et en agitant sa cravache, à travers les taillis, a des qualités de peinture moins délicates, mais plus joyeuses et également saines.