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nos ardeurs et de nos aspirations, ou sur le déclin de l’âge, lorsque l’âme, fatiguée par la vie, se replie sur elle-même en de pénibles méditations, qu’on s’abandonne à ces élans naturels sans fausse honte et sans respect humain. Quel est le jeune peintre, assis devant la mer, sur une plage de sable fin, durant les longues heures de l’été, qui n’a pas eu des visions semblables à celles qui assaillent le Poète de M. Gérôme ? Il n’est pas nécessaire d’avoir vécu à la fin du XVIIIe siècle, comme ce poète, de porter culottes de nankin, bottes molles, chapeau noir, gros carrik, de ressembler à notre grand et doux André Chénier, auquel M. Gérôme semble avoir pensé. Habillé d’un veston ou d’une vareuse, coiffé d’un béret ou d’un panama, il n’est pas de rapin moderne, ayant traversé un musée et dessiné d’après l’antique, ayant lu l’Odyssée ou Rolla, qui, devant la splendeur azurée des vagues bruissantes, n’en ait cru voir sortir l’essaim nu des divinités oubliées, qui n’ait entendu, en cette heure d’extase, flotter à ses côtés la tunique légère de la Muse, qui n’ait espéré de sentir, en se retournant, un chaste baiser, un baiser divin, se poser sur son front inspiré ! M. Gérôme a raconté de nouveau ce rêve de toutes les âmes jeunes dans le langage savant, précis, un peu sec qu’on lui connaît. Dans sa composition, longuement et soigneusement combinée, non plus que dans ses œuvres antérieures, rien n’est laissé au hasard. Chacun de ses groupes, Naïades, Tritons ou Sirènes, chacune de ses figures, vénus, Neptune ou Protée, qui émergent des vagues ou se dressent sur le sable, sont étudiés et présentés avec une recherche minutieuse dans la-forme et dans l’expression. Chez M. Gérôme, le dessinateur attentif est toujours doublé d’un lettré délicat et d’un archéologue instruit. S’il n’a pas les séductions primesautières du coloriste éclatant et du praticien à la mode, il a les séductions durables de l’artiste convaincu et réfléchi, la logique de la composition, la science des formes, le sentiment de la beauté, le charme sérieux de la poésie et de l’intelligence. Les qualités précieuses et fines de M. Gérôme ne sont pas de celles qui s’exprimeraient bien par la furie de la brosse et la désinvolture du pinceau ; il faut laisser à chacun le choix du vêtement qu’il veut adapter à sa conception : l’essentiel est que la forme et le fond s’accordent ensemble. On pourrait faire la même observation à propos de l’Ophélie de M. J.-Paul Laurens, petite figure vive, expressive, brillante, touchée d’un pinceau délicat, placée dans un paysage très éclatant. L’artiste a voulu rendre quelque chose de la poésie imagée et scintillante de Shakspeare et de la renaissance, et il y est parvenu.

MM. Maignan et Guillaume Dubufe, on peut le craindre pour leur repos en le constatant à leur louange, appartiennent à cette race incurable des visionnaires toujours inquiets et toujours ravis