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au monde, intérieurs à la matière ou extérieurs et supérieurs à elle, n’étaient les conclusions ou les inductions que nous en tirons pour nous les appliquer à nous-mêmes, à la connaissance de notre nature, à celle de notre fin, et conséquemment à la loi de notre conduite ? À peu près autant qu’il importe à la plupart des hommes de connaître exactement les propriétés de la cycloïde, et si ce fut Roberval ou un autre qui la carra le premier. Que les métaphysiciens de profession, s’il en est encore quelques-uns parmi nous, le reprochent donc à M. Caro ; mais nous, nous l’en louons, et tous ceux qui s’intéressent à la philosophie l’en loueront avec nous. En faisant beaucoup, et l’un des premiers, pour la rendre, si l’on peut ainsi dire, à sa destination véritable, il a fait beaucoup pour l’amener des ombres de l’école, où ce n’est point sa place, au grand jour de la discussion publique ; — et l’histoire n’oubliera pas, ni les lettrés encore moins, que tout un mouvement a daté de là.

Non pas, d’ailleurs, que nous partagions, sur tous les points, toutes les idées de M. Caro, et, si c’en était le lieu, nous ne manquerions peut-être pas, pour y contredire, d’assez bonnes raisons. C’est ainsi que, dans cette polémique, où il s’est repris à plusieurs fois, contre l’idée de l’évolution, nous ne sommes pas avec les évolutionistes, mais nous ne sommes pas davantage avec M. Caro, qui, sans doute pour les mieux combattre, a trop abondé quelquefois dans leur sens, et comme eux trop confondu l’idée d’évolution avec l’idée de progrès. On représenterait assez bien l’idée de progrès par une ligne droite, sans interruption ni discontinuité, qui se développerait d’une vitesse égale, d’un mouvement uniforme, et uniformément ascendant ; tandis que l’évolution, c’est plutôt une courbe, avec des points d’inflexion et de rebroussement, avec des hauts et des bas, pour parler plus simplement ; et je ne sais si l’on peut dire que c’est ce qu’il y a de plus contraire, mais assurément ce n’est pas la même chose. Pour la défense même de quelques-unes des idées qui lui étaient le plus chères, j’aurais voulu que M. Caro reconnût cette différence, et si quelques évolutionistes ont lié leur cause à celle de l’humanitarisme, qu’il eût vu plus clair qu’eux dans leur propre doctrine. J’aurais également voulu, quand il a parlé du pessimisme, qu’il y vit quelque chose de plus qu’une maladie singulière et rare, plus souvent affectée que réelle, si nous l’en voulions croire, et que le cynisme de Schopenhauer ou le charlatanisme de M. de Hartmann ne lui masquât pas la grandeur, et ce que j’oserai même appeler la noblesse du pessimisme. À Dieu ne plaise que je fasse aucune comparaison de celui de nos grands écrivains que j’aime et je respecte le plus, c’est l’auteur des Provinciales et des Pensées, avec l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation, le vieillard caustique et quinteux de Francfort ! Mais il n’y a pas de pire pessimisme, j’entends