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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mai.

Comment un pays qui a reçu en partage tous les dons et toutes les ressources, tout ce qui fait l’éclat et la puissance des nations, qui, en dépit de tous ses malheurs, garde sa sève généreuse et vivace, comment ce pays peut-il être réduit à ne plus savoir de quel côté il peut se tourner, ce qu’on veut faire de lui et ce qu’on lui prépare ? Car enfin, c’est toute la question, l’éternelle question d’aujourd’hui comme d’hier ! Le pays en est venu à ce point d’obscurité et de détresse morale où il s’arrête ahuri, mécontent, froissé, plus que jamais indécis, après avoir été trahi dans ses intérêts, dans sa confiance et dans ses vœux. Il n’était pourtant pas trop exigeant ; il ne demandait à ceux qui le représentent et le gouvernent que le droit de vivre, de travailler et de se refaire en paix : on lui a tout promis, on ne lui a rien donné, comme disait un homme d’esprit qui n’est plus.

La France, assurément, sent son mal. On a beau la payer de hâbleries officielles dans les banquets, lui vanter les bienfaits du règne républicain de dix ans, lui montrer les progrès accomplis, les libertés et les droits répandus à profusion, — y compris le droit à l’outrage universel dans la rue et la liberté du revolver dans les manifestations : la France, avec son instinct, avec sa raison naturelle, voit tout et comprend tout. Elle n’ignore pas que, par un indigne abus de ses ressources, dans un intérêt de popularité et d’élection, ou, si l’on aime mieux, par incapacité, on a épuisé ses finances, et qu’aujourd’hui, pour pallier le mal, on ne trouve rien de mieux que de gagner du temps, d’ajourner un examen sérieux des affaires financières, la liquidation inévitable, par une modification de la date des exercices budgétaires. Elle n’ignore pas que, pour satisfaire des passions de secte, on l’a violentée, troublée dans ses croyances et dans ses mœurs, en la menaçant par surcroît de nouvelles agitations, d’une dernière atteinte à la paix religieuse. Elle sait que depuis dix ans, au lieu de raffermir l’état, les lois, les garanties publiques, les partis qui la gouvernent