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indéfinie dont ils ne peuvent prévoir les suites. Ils ont été entraînés sans doute ; ils ont cru le moment venu d’entrer dans une lutte où la cause conservatrice allait être nécessairement en jeu. Ils ont vu ou ils ont cru voir, d’un autre côté, qu’ils n’avaient rien à attendre des républicains modérés, dont ils auraient pu être les alliés utiles, à la condition d’obtenir des garanties pour leurs opinions. Ils ont cédé aux circonstances, à l’influence du jour, soit ! Il n’y a pas moins pour eux, pour une partie d’entre eux, une question de conduite des plus délicates, des plus graves. Tant que les conservateurs se bornent à défendre des intérêts communs, les garanties publiques, ils restent naturellement unis. Ils ont été nommés pour combattre les prodigalités financières, les abus et les iniquités de parti, les violences de secte, la désorganisation sous toutes ses formes : ils portent au combat les mêmes sentimens et ils parlent le même langage. Il n’y a aucune difficulté. Leur force est dans la nécessité, dans la sincérité de leur union. En est-il de même dès qu’ils quittent ce terrain solide de la défense commune pour aborder les questions de l’organisation publique, du principe des institutions et de la souveraineté ? Évidemment tout change alors. On entre, même sans le vouloir, dans les équivoques ; on va au-devant des confusions et d’inévitables mécomptes. Les conservateurs désavouent, non sans raison, toute solidarité avec le général Boulanger ; ils ne font pas moins campagne ensemble, ils ont le même mot d’ordre, — et toute la question est de savoir si le général Boulanger a pris leur programme, ou s’ils suivent maintenant, eux, le général Boulanger. Ils mettent tout leur art à voiler un profond dissentiment de principes par un habile euphémisme pour ne pas se séparer des bonapartistes : le dissentiment n’existe pas moins et, quel que soit le dénoûment, il y aura forcément quelqu’un trompé. C’est inévitable !

Il faut prendre les choses pour ce qu’elles sont. Les conservateurs du camp monarchique ont admis dans leur programme ce qu’ils appellent la « consultation directe de la nation, » ce qui, en réalité, est tout simplement le plébiscite, dont la révision sera le préliminaire. Fort bien ! Et si la révision n’est pas la restauration de la monarchie ; si, par un entraînement ou un aveuglement d’opinion qui n’a rien d’impossible, cette « consultation de la nation » qu’on invoque va au général Boulanger, ou si elle se prononce pour une résurrection bonapartiste, ou même si elle maintient la république, les royalistes considéreront-ils la monarchie comme jugée et condamnée ou désavouée ? ne seront-ils pas allés d’eux-mêmes, pour avoir l’air de se mettre au ton du jour et d’être, eux aussi, des hommes hardis, au-devant d’un grand piège, d’une grande confusion ? On oublie que le régime du plébiscite, ce n’est pas la monarchie, c’est l’empire ! Il y a une autre équivoque dans ces préliminaires d’une révision destinée peut-être, si on y arrive, à tromper bien des calculs. Dans les réunions de la droite,