Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/721

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bref, rien n’est négligé pour élever sur cette frontière des Vosges un mur plus réel et mieux gardé que la fameuse muraille de la Chine. S’il ne s’agissait que de simples mesures de police locale jugées à tort ou à raison nécessaires, on pourrait négocier, arriver à une sorte d’entente. Malheureusement, il est clair que l’arrestation sans importance invoquée à Berlin n’est qu’un prétexte ; il est fort à craindre que le chancelier, qui avait pris jusqu’ici ces incidens d’assez haut, n’ait eu quelque arrière-pensée, qu’il n’ait obéi à d’autres calculs. Peut-être, en rendant plus difficiles les rapports entre les Français et leurs voisins d’Alsace-Lorraine, s’est-il flatté de hâter, de faciliter la germanisation des provinces annexées ; il n’a pas réfléchi qu’au temps où nous vivons, ces procédés de police et de force n’ont qu’une efficacité douteuse, qu’ils risquent plutôt d’irriter par la compression le sentiment public, de raviver sans cesse, pour les populations soumises à ce régime, l’image de la patrie perdue. Peut-être aussi le chancelier, sans autre raison, a-t-il voulu faire sentir l’aiguillon à la France. La France, il est vrai, n’a rien fait pour provoquer ce qu’on appelle, par un singulier euphémisme, des représailles ; elle a plutôt laissé voir, par une réserve que lui imposent ses embarras intérieurs aussi bien que ses goûts, son désir de la paix. N’importe ; le chancelier a peut-être voulu essayer sa puissance, montrer qu’il avait plus que jamais l’œil sur la frontière, qu’il est toujours homme à prendre, selon les circonstances, pour une provocation le plus simple des incidens. Peut-être, en un mot, a-t-il cru le moment venu de frapper un grand coup, et c’est justement ce qui ferait la gravité de l’acte. Cette mesure de police pourrait être le signe d’un état d’esprit peu rassurant ; elle répondrait à une situation où la défiance deviendrait le mot d’ordre, ou tout pourrait servir de prétexte.

C’est là, en réalité, le danger, d’autant plus que l’acte décidé à Berlin, exécuté sur les Vosges, n’est point absolument isolé. Il se produit dans une situation générale où l’on semble s’attendre à tout, où l’on met sans cesse la France en cause comme s’il n’y avait de péril qu’en France. On n’a pas même quelquefois les plus simples ménagemens de paroles, et de toutes les démonstrations récentes, la plus étrange, la plus imprévue, la plus surprenante, est assurément celle qui vient de se produire au parlement de Pesth, à la suite d’une interpellation adressée au gouvernement au sujet de la prochaine exposition française. M. le président du conseil hongrois a perdu pour le coup une belle occasion de se taire ou du moins de parler avec la mesure qu’un chef de cabinet doit s’imposer ; M. Tisza a tenu, à vrai dire, des propos aussi inutiles que peu politiques. — Eh ! sans doute, ceux qui ont imaginé d’ouvrir, pour l’anniversaire de 1789, une exposition universelle à Paris, ont agi étourdiment, en hommes qui ne se donnent pas la peine de réfléchir sur les conséquences de ce qu’ils font. S’ils voulaient