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question de gouvernement ne s’accorde guère avec nos idées modernes sur la séparation des pouvoirs ; mais ce principe, qui le connaissait ? qui s’en souciait alors ? et, de nos jours, n’est-il pas souvent omis, éludé ? nos assemblées politiques en ont-elles toujours tenu compte ? — En fait, les financiers ne veulent traiter qu’avec la garantie du parlement, les peuples ne paieront plus si les édits ne sont vérifiés, et ce droit d’enregistrement, consacré par un usage antique, finit par conférer au « sénat, » comme on avait coutume de dire, quelques-uns des attributs de la représentation nationale, des états-généraux absens. — Le débat s’agrandit. Ce n’est plus une misérable querelle de privilégiés que soutiennent les cours souveraines, c’est « le public » qu’elles défendent, c’est l’impôt créé par caprice, l’exploitation du contribuable par les traitans, c’est le gaspillage des deniers de l’État que le parlement combat.

Cette transformation n’avait pas échappé à Mazarin : « Messieurs ont honte de faire tant de bruit pour leur intérest particulier, et veulent persuader qu’ils sont mus par le bien du peuple[1] ; » le cardinal essaie de leur arracher ce masque : « On accordera la descharge d’un quart des tailles pour mettre le peuple hors d’intérest[2] ; » et il fait signer à la Reine un long programme de concessions (30 juillet). Mais la déclaration royale semble captieuse ; on en dissèque tous les articles ; elle aboutissait à néant. Qui pouvait croire à la réduction des impôts ? Au mois d’août, Mazarin avouait qu’il avait dévoré d’avance trois ans de revenu ; on ne vivait qu’à coups de banqueroute.

Survient l’enlèvement des conseillers. Cette fois encore, le parlement, pour sauver ses immunités, prit la défense du « public, » et, visant d’antiques ordonnances, rappela que nul ne pouvait être emprisonné sans être interrogé dans les vingt-quatre heures et jugé à bref délai.

Ainsi, tous ces juristes, nourris des plus étroites maximes de la Rome impériale, gardiens jaloux de l’autorité de nos rois, — sans le savoir, sans le vouloir, inconsciens, incohérens peut-être, entraînés par la lutte, — éclairés par cette « lueur, » cette « étincelle » que Retz crut voir briller, posaient implicitement les deux formules qui contiennent l’essence de toute liberté : l’impôt consenti, l’habeas corpus. Bien des peuples, auxquels on répète qu’ils sont libres, ne jouissent encore qu’imparfaitement de ces garanties, et, trompés par mille subterfuges, se les laissent en partie ravir ou refuser.

  1. A M. le Prince, 23 juin 1648. Archives de Condé.
  2. Au même, 29 juillet. A. C.