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fut offerte à M. le Prince ; comment douter de la réponse ? Les souvenirs de 1648 étaient trop récens : le malencontreux début, les difficultés d’Ypres, l’accident de Courtrai, le désastre d’Ostende, l’épuisement prématuré de l’armée. Condé ne pouvait se laisser circonscrire, une seconde fois, dans des instructions qui exposaient le général et ses troupes à pareille mésaventure. Il déclina la proposition de Mazarin, qui aussitôt le prit au mot, heureux de pouvoir répandre que M. le Prince avait refusé le commandement[1].

A défaut de Condé, Turenne ! C’était encore le cri de l’armée, la prière des officiers[2]. Nous n’avons pas atténué la faute du maréchal, elle était grande ; mais d’autres, aussi coupables et moins nécessaires, obtenaient leur pardon ; il n’avait pas porté les armes contre le Roi ; il revenait d’Amsterdam repentant, demandait à voir le cardinal, à servir. Mazarin diffère l’audience sous divers prétextes : « le maréchal ne peut avoir l’esprit content[3]. » M. le Prince parlait, écrivait en faveur de son illustre camarade, insistait, garantissait « sa fidélité et le zèle de ses amis pour le service de Sa Majesté[4]. » Voilà un certificat qui ne profitera guère à Turenne ! Rien ne cause plus d’ombrage, plus d’alarmes à Mazarin que l’union de ces deux capitaines, et il subordonne le bien de l’État à sa méfiance ; c’est le propre des gouvernemens faibles qui n’ont pas de racines : « Divers respects empêchent présentement de jeter les yeux sur M. de Turenne[5]. » Tant que le maréchal n’est pas séparé de Condé, il reste à l’index.

Qui prendre alors ? De Rantzau il n’est plus question, La Meilleraie, par trop usé, n’a pas mieux réussi à réprimer l’émeute qu’à diriger les finances. La Motte appartient aux frondeurs, Schomberg à Mme de Hautefort, ennemie irréconciliable. Le choix du ministre est fait. Le comte d’Harcourt achevait alors de disperser quelques malheureux rassemblés en Normandie par M. de Longueville. Récemment relevé de la disgrâce où l’avait jeté son désastre

  1. Nous insistons sur ce point, parfaitement établi par les meilleures autorités, entre autres par La Barde (De rébus Gallicis), le plus exact des annalistes : Condé n’a pas refusé le commandement de l’armée ; après avoir examiné, discuté le dessein de Cambrai, il a demandé à ne pas être chargé de l’exécution, se tenant d’ailleurs à la disposition de la Régente. Cela ressort aussi des nombreuses lettres de Mazarin à M. le Prince, notamment de la longue dépêche du 23 juin. A. C.
  2. Démarche des officiers de l’armée d’Allemagne. (Mazarin à M. le Prince, 21 juillet. A. C.)
  3. Mazarin à M. le Prince, 14 juin. A. C.
  4. M. le Prince à Mazarin, 8 juin ; et, le 24 juillet, de Valéry : « M. de Turenne est en ce lieu ; je n’ay rien reconnu en luy que de véritables et très sincères sentimens d’un bon serviteur du Roy. » A. C.
  5. Mazarin à M. le Prince, 21 juillet. A. C.