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un mois à la cour, prenant part aux délibérations, réglant les détails qui lui étaient soumis, aplanissant les différends, parlant aux généraux, poussant jusqu’à La Fère pour rencontrer d’Erlach, assistant Mazarin de ses lumières, de son appui, même de son argent[1], sans ménagemens, sans arrière-pensées ; faisant de son mieux pour assurer le succès d’un plan qu’il n’approuvait pas et que d’autres devaient exécuter. Lorsque enfin d’Harcourt fut arrivé, mis au courant, Condé laissa le champ libre au cardinal et au favori ; craignant de paraître les tenir en lisière, il obtint congé de se rendre dans son gouvernement. Bien que chargé par Mazarin de terminer dans Paris diverses affaires délicates, il évita d’y prolonger son séjour ; ces haltes dans la capitale, si abrégées qu’elles fussent, causaient toujours quelque ombrage au ministre qui redoutait ce que Condé pouvait dire et surtout entendre.

Le 11 juin, M. le Prince était à Dijon, où il trouvait « obéissance et parfaite résignation. » Pendant six semaines, il s’occupa « d’augmenter le repos qui est dans la province[2], » repos dû surtout à sa vigilance et à sa bonne administration, contraste frappant avec ce qui se passait ailleurs. On a dit qu’il employa ce temps à organiser la guerre civile : les événemens qui s’accomplirent l’année suivante prouvèrent qu’il n’avait rien préparé, pas même la conquête de la Franche-Comté, l’occupation du comté de Montbéliard[3] et la formation de cet état indépendant dont Mazarin essayait de leurrer l’ambition de Condé comme son amour de la France. Le rêve de reconstituer en partie le domaine des anciens ducs de Bourgogne, de relever leur sceptre, en repoussant l’aigle à deux têtes hors de la Haute-Alsace et du Jura, avait sans doute traversé cette ardente imagination et reprit corps plus tard ; mais alors les espérances données par Mazarin ne faisaient plus illusion, et les offres venant de Naples[4] n’étaient pas mieux accueillies. Condé ne se souciait pas d’aller ramasser cette couronne que M. de Guise avait laissée échapper. Loin de penser à se lancer dans une conquête pour son compte, il se dégarnit, dirigea presque toutes ses troupes sur Aix, et mit ses ressources à la disposition du comte d’Alais pour pacifier la Provence. Là comme en Guyenne on était en armes et la lutte continuait. Partout des troubles et

  1. « Nous avons l’argent pour les travaux, à quoi votre zèle a contribué la plus grande partie. » — Mazarin à M. le Prince, 23 juin. — (Voir toute la correspondance Mazarin, mai-août 1649.)
  2. M. le Prince à Girard, à Mazarin, juillet 1649. A. C.
  3. Ce comté aurait été acquis des ducs de Wurtemberg.
  4. Marquis Pinelli, Ranuccio de Baschi, Paolo Orsini et autres à M. le Prince, juillet-octobre 1640. A. C.