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desseins si contraires, constant et commun adversaire des deux rivaux.

M. le Prince est depuis longtemps condamné dans l’esprit de Mazarin ; si le cardinal se résigne à employer le capitaine ou même à chercher un abri près du héros, c’est pour mieux l’abîmer. Retz n’a pas ce parti-pris ; au contraire, il est sympathique, regrette de n’avoir pu entraîner Condé, qu’il aurait même pris volontiers pour chef à condition de le diriger. Mais la fatalité a changé les rôles ; volens aut nolens, M. le Prince fait avorter les complots du prélat, de même qu’il entrave l’essor du ministre : frein incommode pour l’un, barrière qui ferme à l’autre le chemin du pouvoir. Aussi se présente-t-il une occasion d’infliger à Condé quelque échec, de l’attirer dans un piège, de le pousser à quelque faute irréparable, de ruiner sa fortune, de lui ravir la liberté, la vie ! ., le concert s’établit entre les deux ennemis, inconciliables sur tout le reste, et alors, sans se parler, sans se voir, ils marchent en cadence comme de vieux alliés étroitement unis.

Retz était petit, camard, mal bâti. Mazarin, qui avait des traits réguliers, la taille belle et l’air noble, se moquait volontiers de la mine que faisait son rival en habit de cavalier, « avec ses jambes torses dans des grègues rouges. » Et cependant c’est le coadjuteur qui a le plus d’empire sur les femmes, car il semble mieux leur appartenir et se livre avec plus d’abandon au pouvoir de leurs charmes ; quand on lui conta que la Régente lui trouvait les dents belles, la tête faillit lui tourner. Mazarin se possède davantage : un moment d’entraînement pourrait lui enlever la vraie base de son autorité : s’il perd la confiance de la Reine, il reste désarmé à la merci de ses ennemis. Lui aussi, d’ailleurs, sait s’ouvrir un accès auprès de certaines femmes ; il est insinuant, devine leurs caprices, sert leurs vengeances ou l’ambition de leurs amans ; à celles dont il connaît la vénalité, il donnera de l’or. Mmes de Chevreuse, de Guéméné, de Montbazon sont aux ordres, tantôt de l’un, tantôt de l’autre, parfois de tous les deux ; si Mlle de Chevreuse est plus particulièrement sous la dépendance de Retz, elle ne sépare pas ses intérêts de ceux de sa mère. Déjà écoutée, mais gênée par ses embarras d’affaires, prudente, la Palatine ne quitte pas encore le second plan et ne tient les fils d’aucune négociation. Portant légèrement son voile de veuve, Mme de Châtillon tend ses lacets autour de Condé ; on sait à quel prix sont ses services. Généreuse, haute de cœur et de caractère, Mme de Longueville n’écoute que les conseils de sa fierté, quand elle n’est pas égarée par l’ambition de celui qui s’est emparé de son cœur. La paix de Rueil ne s’était pas étendue jusqu’à la maison de Condé ; le chef de la famille restait