Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/829

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Madison, à un troupeau bruyant et vorace, se pressant autour d’une auge trop étroite. Arrivé plus tard au pouvoir, il eut à subir les mêmes assauts. Sa résistance aux âpres convoitises de ceux qu’il flétrissait naguère honore grandement son courage. Mais cette politique des mains nettes ne reçut pas la ratification du suffrage populaire. Quincy Adams se fit battre à l’élection présidentielle de 1828 ; il avait tenté de remonter le courant. Jackson, en s’y abandonnant tout entier, fut le président selon le cœur de la démocratie et vint à point personnifier un système conforme aux mœurs. Il était l’homme que l’Amérique attendait.

Sous les présidences de Polk, de Pierce, de Buchanan, la distribution méthodique des dépouilles au parti régnant resta plus que jamais l’unique ressource gouvernementale, le pivot de la politique intérieure des États-Unis. L’opinion avait fini par trouver le procédé si légitime, que d’honnêtes esprits le préconisaient comme obligatoire. « Nul ne peut remplir heureusement et fidèlement les fonctions présidentielles, écrivait le général Scott, s’il manque au devoir de maintenir avant tout la force et l’union du parti, qui l’a élu, sur lequel il doit chercher son point d’appui. En conséquence, le président est tenu de livrer les emplois publics à ses partisans, et se voit solliciter vivement de nommer, dans le nombre, beaucoup de sujets indignes et incapables. Il repoussera ces derniers le plus possible, mais sans offense, avec bonne grâce et aménité. Faute de quoi, il affaiblirait son parti et risquerait de le diviser profondément. »

Ce vœu timide de ne pas sacrifier entièrement l’honnêteté aux exigences de parti, si faire se peut, résume tout ce que le régime parvenait à fournir de plus haute morale à ceux qui se piquaient de moralité. Encore n’étaient-ce là que des réserves théoriques. Candidat malheureux à la présidence, le général Scott n’eut pas l’occasion d’appliquer son programme de vertu discrète et de corruption mitigée. Les présidens en fonctions ne sauraient y mettre tant de délicatesse. Une fois saisis dans l’engrenage, ils ne sont pas toujours libres de considérer la probité comme un titre, chez les plus dévoués mêmes de leurs partisans. La probité a des scrupules, et le parti veut vaincre à tout prix.

On l’a vu naguère, pendant la présidence du général Grant, qu’il faut bien mentionner ici, non pour réveiller inutilement le souvenir de scandales restés légendaires, mais pour montrer la progression du système. Combien de républicains éprouvés furent traités de félons, d’apostats, et mis à l’index, parce que leur conscience ne se prêtait pas à subir la complicité des trop grosses malversations républicaines, commises sous le couvert du patronage