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sénateur ou député qui accepte un portefeuille doit renoncer à son siège législatif ; l’incompatibilité est absolue. Aucun intermédiaire officiel et responsable ne s’interpose entre l’unique détenteur de l’exécutif et le parlement. La constitution s’abstient même de mentionner le ministère à titre de collectivité ; elle ne parle qu’incidemment des ministres, considérés comme simples chefs de services, pour indiquer de quelle manière le président pourra les consulter individuellement sur les affaires de leurs départemens respectifs, « Les conseils sont des abris, » a dit Bentham, et les Américains voulaient que l’élu du peuple couvrît ses secrétaires d’état au lieu de se dérober derrière eux.

La responsabilité personnelle du magistrat suprême semble impliquer nécessairement pour lui la liberté plénière de nommer et de destituer ses subordonnés. Ici apparaît encore une des contradictions inhérentes aux institutions américaines où ne se rencontre rien d’absolu. Les ministres sont choisis « selon le bon plaisir du président, » mais les nominations ne deviennent définitives qu’avec l’assentiment sénatorial. Si le sénat allait jusqu’au bout de son droit, cette restriction suffirait à paralyser la puissance présidentielle et même à la supprimer. Contraint de subir des ministres hostiles, ou réduit par des refus systématiques à l’impossibilité de pourvoir aux services publics indispensables, le président n’aurait plus qu’à se soumettre ou à se démettre.

En règle générale, la haute assemblée accepte les candidats proposés pour les divers postes ministériels et pour les emplois importans. A peine citerait-on quelques exceptions contraires. La limitation de pouvoir est donc plus théorique que réelle. Le bon esprit des législateurs, corrigeant la lettre de la loi, abandonne le libre choix des personnes à qui supporte l’entière responsabilité des actes.

Cette logique pratique reçut même, dès 1789, une consécration légale partielle, malgré les répugnances des chambres à restreindre leurs propres prérogatives. La constitution américaine se tait sur le droit de révocation. Son silence pouvait être interprété dans le sens le plus étroit. Le congrès, naturellement jaloux des privilèges parlementaires, était maître de statuer que la ratification sénatoriale serait requise pour révoquer les fonctionnaires et les ministres, comme pour les nommer. Ce fut pourtant la solution opposée qui prévalut.

Les représentans établirent, par 34 voix contre 20, que le président de la république exercerait seul le pouvoir de destituer ses agens. Les sénateurs, dont les attributions spéciales se trouvaient en jeu, hésitaient davantage et formaient deux groupes