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que celle de veiller à l’exécution des lois. Sans force officielle, sans puissance apparente, il a pourtant le don, plus facile à constater qu’à définir, de communiquer une fermeté singulière aux différens organes du gouvernement. A vrai dire, la royauté forme un quatrième pouvoir, non simplement décoratif, mais préservateur des autres et garant de tous, interprète de la majorité, défenseur des minorités et de leurs droits, symbole vivant de l’unité nationale et de la patrie.

Ce pouvoir permanent et médiateur permet seul d’établir parallèlement, à chaque degré de l’échelle, une double série non interrompue d’élections populaires et de sélections hiérarchiques qui se contrôlent, s’éclairent et s’appuient mutuellement. La stabilité administrative et judiciaire, la continuité des vues dans les relations extérieures tempèrent l’omnipotence et la mobilité excessives des assemblées. Cet ensemble de conditions est nécessaire au jeu délicat du parlementarisme libéral, aussi éloigné de la tyrannie d’une convention que de l’anarchie.

Encore la majorité représentative doit-elle savoir s’imposer des limites, et laisser quelque latitude à ceux qui exercent le gouvernement sous sa forme la plus raffinée. « Serviteur et bouc émissaire de son parti, le ministère britannique en est également le chef reconnu[1]. » La tradition lui réserve l’initiative des lois importantes et de toutes les dépenses budgétaires. Enfin, dans les circonstances graves, il peut même, avec l’assentiment de la couronne, recourir au droit de dissolution. A quel titre cette variété monarchique de l’appel au peuple rentrerait-elle dans les attributions de l’exécutif républicain ? Aucune autorité constitutionnelle n’est supérieure au congrès. Qui donc pourrait logiquement le dissoudre ?

Les Américains semblent avoir admis que deux systèmes pouvaient seuls être considérés comme pratiques : ou bien la monarchie parlementaire, dans laquelle le cabinet joue le rôle d’exécutif responsable ; ou la république présidentielle, qui exclut la responsabilité des ministres, et remet au président élu le pouvoir exécutif sans partage. Conduits à choisir la république presque malgré eux, les constituons de 1787 ont subi l’une de ses imperfections inévitables en adoptant les combinaisons moins aristocratiques et moins fines d’un pseudo-parlementarisme démocratique à la mesure du régime. Et pourtant ils n’avaient vu s’exercer la responsabilité ministérielle qu’entre les limites restreintes où l’enfermait George III. Rien ne pouvait leur faire prévoir quelle extension elle prendrait plus tard.

  1. Woodrow Wilson, Congressional government, p. 322.