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nulle en l’espèce. C’est une sorte de veto judiciaire indirect. On aurait manqué au non bis in idem en y ajoutant une part de veto exécutif, qui permettrait au juge de contrôler aussi les lois dans le domaine théorique, avant qu’elles fussent appliquées. Le projet Wilson ne fut pas admis.

Deux ans plus tard, il est vrai, en 1789, le congrès créa les fonctions d’attorney-général. Mais ce magistrat de l’ordre judiciaire, placé auprès du président pour l’éclairer sur les questions législatives et constitutionnelles, ne participe nullement à la puissance exécutive. Conseiller intime, casuiste politique ou directeur de conscience, il n’a pas plus de responsabilité devant les chambres que les autres membres du ministère. Quel que soit l’avis reçu, le président répond seul de ses vetos comme de tous ses actes, et se dispense même parfois d’en informer le cabinet.

Cette intervention de l’exécutif, tenant tête aux assemblées législatives et arrêtant l’effet de leurs votes, entretient un état permanent de lutte qui est le propre des gouvernemens électifs. Les Américains ont fait entrer ces antagonismes inévitables dans le cadre constitutionnel, et ne s’en émeuvent pas plus que de raison.

Les échéances électorales sont échelonnées de façon à mettre fréquemment en lumière les variations survenues dans les forces respectives des partis. À ces déplacemens de majorités correspondent des changemens analogues dans les situations relatives des divers pouvoirs. Tous les quatre ans a lieu l’élection présidentielle. Tous les deux ans on procède au renouvellement de la législature, intégralement pour la chambre, et par tiers pour le sénat. A son avènement, le chef de l’état peut compter d’ordinaire sur l’appui des représentons, dont la nomination a coïncidé avec la sienne. En revanche, il risque fort de se heurter au mauvais vouloir des sénateurs. Puis, deux ans après, l’harmonie entre la chambre et l’exécutif est souvent rompue par l’entrée en scène d’une majorité hostile, issue du scrutin biennal. Quelquefois même l’opposition domine dans les deux assemblées. Le président n’a plus alors la ressource de s’appuyer sur l’une d’elles pour de jouer les attaques de l’autre. Il n’est pas désarmé cependant, grâce au veto, si la minorité requise lui reste fidèle.

Rien ne l’empêche de recourir à sa prérogative en tout temps, sans avoir égard à telle circonstance où la majorité législative, émanant d’une élection plus récente que la sienne, représenterait mieux que lui l’opinion actuelle des électeurs. C’est précisément au cours des deux dernières années de sa présidence, contre une chambre nouvelle, qu’il fait le plus fréquent usage du vélo. Dans ces conditions, notamment, le pouvoir exécutif résiste aux volontés du peuple même, personnifié par ses mandataires fraîchement élus.