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la Banque d’Angleterre, tirait de son portefeuille une banknote de 5 livres et en demandait le paiement. Surpris, en reconnaissant Rothschild, de voir le grand banquier se déranger lui-même pour si peu de chose, l’employé lui remit ses cinq pièces d’or. Il les examina minutieusement, les faisant sonner sur le marbre, et les mit dans un sac. Puis, tirant de son portefeuille une seconde banknote une troisième, une quatrième, une dixième, une centième il encaissa flegmatiquement, au fur et à mesure, l’or qu’on lui remettait, non sans soupeser chaque pièce. Son portefeuille vide et le sac plein, il les passa à son commis, reçut un second portefeuille et un second sac, et continua jusqu’à l’heure de la fermeture du guichet. En sept heures, il avait encaissé ainsi 21,000 livres sterling. Mais, pendant ce temps, neuf de ses employés en faisaient autant à chacun des neuf autres guichets de la Banque, qu’ils occupèrent ainsi tout le jour au grand étonnement d’abord, puis au grand détriment du public, qui ne pouvait en approcher. Dans cette seule journée, il avait prélevé 210,000 livres sterling sur la réserve de la Banque.

On rit fort à la Bourse en apprenant cette excentricité du banquier. Les directeurs de la Banque la racontèrent eux-mêmes, haussant les épaules et raillant les futiles efforts de leur rival, qui s’imaginait mettre ce grand établissement public dans l’embarras par de pareils retraits de fonds. Mais quand, le lendemain, ils apprirent qu’à l’ouverture des guichets Rothschild et ses neuf employés étaient à leur poste et recommençaient leurs manœuvres de la veille, ils trouvèrent que la plaisanterie se prolongeait un peu trop. Leur surprise devint de l’alarme quand l’un d’eux entendit le banquier répondre tranquillement à ses amis : « Ces messieurs de la Banque refusent mon papier ; moi, je ne veux pas du leur, et ce n’est que dans deux mois d’ici que j’aurai fini d’écouler à leurs guichets ce que j’en détiens dans ma caisse. » Deux mois ! Cela représentait 11 millions de livres sterling, l’interruption des services, peut-être, une panique ! Les directeurs capitulèrent, et le lendemain avis était donné que la Banque escomptait, comme le sien propre, le papier de la maison Rothschild.

En 1806, Nathan avait épousé la fille de Lévi Barnet Cohen, opulent Israélite de Londres. Sans être alors aussi riche qu’il devait le devenir quelques années plus tard, Nathan Rothschild était déjà cependant l’un des hommes les plus en vue du Stock-Exchange, et passait pour posséder une grande fortune. Sur ce point toutefois, il ne précisait rien. Sa demande agréée, son futur beau-père, circonvenu par des envieux de Nathan, conçut quelques doutes sur sa situation réelle ; il s’en ouvrit à lui, le priant de le renseigner sur ce qu’il