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jalousie, livre à Karnak les clés des écluses qui défendent la ville contre l’océan. La mer se précipite, et, pour qu’elle se retire et n’achève pas la ruine du pays, il faut que la coupable se jette dans les flots. Ainsi fait Margared ; les eaux baissent, et saint Corentin, patron de la Bretagne, pardonne à son peuple innocent.

Voilà qui repose délicieusement des mélodrames à quinze ou vingt personnages, avec chœurs de seigneurs et de dames de la cour, avec ballets et pavanes, intrigues compliquées et caractères superficiels. Il y a peu de chose dans le Roi d’Ys, mais ce peu de chose est le nécessaire, le nécessaire de la musique : le sentiment. — On y voudrait, dit-on, plus d’action. Pourquoi ? La musique aime moins les faits que les âmes, et pour suffire aux uns et aux autres, pour faire de l’histoire et de la psychologie ensemble, le seul Meyerbeer peut-être, un génie d’exception, avait tout ce qu’il faut. L’action, toujours l’action ! est un mot d’orateur et non de musicien. Ce n’est pas à dire que le livret de M. Blau manque d’action et ressemble le moins du monde à un oratorio. Seulement l’action en est tout élémentaire, et n’est que le conflit de passions très simples, chez des êtres primitifs, dans un milieu légendaire et favorable aux épisodes merveilleux, comme l’apparition de saint Corentin. — Théories de Wagner ! — En tout cas, sages théories. Wagner a du bon, nous ne l’avons jamais nié. L’on peut prendre chez lui, à la condition de ne pas trop prendre, et ici, librettiste et musicien n’ont pas trop pris.

Le Roi d’Ys offrait au compositeur au moins deux caractères tracés et tranchés : Margared et Rozenn ; un pays suffisamment pittoresque et original : 1avieille, très vieille Bretagne, avec ses mélodies populaires ; enfin, un élément surnaturel. De tout cela, M. Lalo n’a pas abusé ni mésusé. Il n’a point improvisé sa partition. Moins longtemps peut-être qu’on ne s’est plu à le dire, mais longtemps toutefois, il a pensé au livret choisi. Il a médité dans le recueillement et travaille dans le silence, sans annoncer de trimestre en trimestre qu’un nouvel acte était terminé et livré. Peu à peu, les sentimens étudiés ont pris dans son imagination une expression musicale. M. Lalo a fini par entendre son poème en musique, par penser en musique avec ses personnages, presque par écrire sous leur dictée. Et ainsi s’est faite une œuvre dont on ne dit pas, après l’avoir entendue : il y a de belles choses ; mais (ce qui vaut mieux) : c’est une belle chose ; une œuvre tout d’une pièce, digne d’être louée entièrement et d’un seul mot, mais digne aussi d’être analysée et admirée avec précision, presque avec minutie.

L’ouverture du Roi d’Ys est traitée à la manière de Weber. On y entend d’abord le chant d’amour de Mylio, puis des fanfares de guerre, puis un thème farouche de Margared, puis, annoncé par deux